Hervé Castanet[1] est l'auteur de l'ouvrage Neurologie versus Psychanalyse[2] que les Psychologues freudiens ont invité pour la soirée « Pas-tout-neuro »[3]. L’échange auquel celle-ci a donné lieu a été ponctué par des questions issues d'une mise à l'étude de son livre par des cartellisants.
Les travaux d’H. Castanet sont une riposte à un discours, celui du tout-neuro, qui tend à rabattre tout ce qui affecte l’être au cours de son existence sur la seule étude du cerveau.
Ce postulat résonne comme une vieille querelle ! Nous pourrions dire – puisque cela s'entend encore – inconscient et cerveau, rien à voir ! Connexion synaptique et articulation signifiante, non plus ! Neurologie et psychanalyse ne peuvent-elles continuer à s'affairer chacune de son côté, à partir de leur propre définition du réel ?
Non ?
Neurologie / Psychanalyse, n’est plus de l'ordre du hiatus. En imposant un régime de l’évaluation, de la rééducation et du reconditionnement, les neurosciences supplantent le soin et participent à une éradication... de tout ce qui n’est pas neuro. L’heure est à l’opposition radicale : neurologie versus psychanalyse car une nouvelle neurologie s’impose, nous dit H. Castanet, et qui a pour vocation « d’exclure la parole comme dispositif de traitement et de supprimer la psychiatrie [4]».
Que cherche à expliquer la thèse « neuro » ?
Rien que toute l’expérience humaine. Finis, les embarras de la parole ! L’imagerie cérébrale montrant les connexions synaptiques et leurs perturbations, voilà où gît la vérité. Elle se tient dans le cortex, ne cherchez plus (surtout pas dans le savoir insu de l’inconscient ni le transfert). L’organe du cerveau, lui, ne trompe pas et tout serait dedans. « La trace matérielle (…) se verrait comme l’os brisé à la radiographie »[5].
Il s’agit là de ce que J.-A. Miller a nommé le « neuro-réel »[6]. C’est le discours dont les effets sont repérables dans nos pratiques, avec les patients, dans les institutions. Il sort des administrations sous la forme de recommandations de bonnes pratiques qui portent en elles un ordre qui élimine la pratique de la psychanalyse. Un dialogue est-il encore possible ? C’est une « langue qui fait taire », nous dit H. Castanet.
Son ouvrage dévoile les nombreux tours de passe-passe qui vont dans le sens d’une théorisation à l'envers, sinon d’une imposture : la croyance accordée aux potentialités de notre cerveau surpasse les résultats obtenus. Par ailleurs, un résultat peut être avancé dans un rapport de causalité quand, en fait, il ne s’agit que d’un rapport de corrélation.
H. Castanet évoque également la volonté de faire correspondre la trace synaptique avec la trace psychique. La superposition de ces deux traces ne peut se faire qu’à la condition de renoncer au parlêtre. En effet, « si une trace psychique s’inscrit, elle n’est pas de l’ordre de l’observable », dit-il. Penser que l’imagerie permettrait de voir la trace psychique implique, de fait, qu'il n'y a plus rien à dire.
Le concept de corps parlant élaboré par Lacan, suppose un corps affecté par la jouissance tout autant que déterminé par le langage. En cela-même réside l’impossibilité de voir l’être en transparence. Il ne peut s’attraper singulièrement dans l’image, fût-elle cérébrale.
Saisir le vif de l’engagement d'H. Castanet et lire le tranchant des points qu’il avance nous rappelle que la théorie, loin d’être un principe vague, est le lieu de la pratique de cliniciens formés par la psychanalyse. « Concepts et conséquences cliniques sont en lien dialectique »[7] : cela nous aide à forger nos armes pour défendre nos pratiques. Car malgré le caractère fictionnel des promesses avancées par les neurosciences, ce discours a ses partisans et ses pratiques, et celles-ci ont des conséquences.
Refuser que le soin ne se transforme en un programme de reconditionnement neuronal généralisé, c’est continuer à penser la manière dont il est possible de décompléter ce discours. Il en va aussi du sort de toutes celles et ceux qui ont l’idée qu’un traitement mettant en acte les pouvoirs de la parole est imprévisible et réfractaire aux protocoles de l’évaluation.
Cela va dans le sens d’une humanité autre que celle que nous promet le tout-neuro.
[1] Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l'Association Mondiale de Psychanalyse, Professeur des Universités. [2] Castanet H., Neurologie versus Psychanalyse, Paris, Navarin éditeur, 2022. [3] Association des Psychologues freudiens, Soirée « Pas-tout-neuro », 1er février 2023, en visioconférence, qui a réuni 500 inscrits. [4] Castanet H., propos tenus lors de la soirée « Pas-tout-neuro », 1er février 2023. [5] Castanet H., Neurologie versus Psychanalyse, op. cit. p.25. [6] Miller J.-A. Orientation lacanienne, Cours Sixième séance, 16 janvier 2008. [7] Castanet H., Neurologie versus Psychanalyse, op.cit., p.37.
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