
Dans son texte « Psychanalyse et psychiatrie »[1] Freud utilise une vignette clinique afin d’exposer les différences entre l’approche psychiatrique de cette époque (début du XXe siècle) et la psychanalyse.
Il expose le cas d’une patiente de 53 ans souffrant de jalousie. Un jour, elle fait une confidence à l’une de ses femmes de chambre : le plus effroyable pour elle serait d’apprendre que son bon mari a une liaison. Au lendemain de cet aveu, elle reçoit une lettre anonyme accusant son mari de lui avoir été infidèle. Elle soupçonne alors la domestique à qui elle s’était confiée d’avoir écrit cette lettre. En effet, la jeune femme accusée d’avoir une liaison avec le mari, n’est autre que la rivale détestée de la femme de chambre. Il serait donc probable que cette accusation soit fausse, selon la patiente. Malgré cet effort de discernement, la lettre provoqua chez elle un état d'abattement et d’agitation intense. Elle confronta alors son mari, qui balaya cette accusation d’un rire et contacta un médecin pour apaiser sa femme. Celle-ci réussit alors à retrouver un certain calme. Cependant par la suite, la simple évocation ou rencontre fortuite avec la jeune femme citée dans la lettre suffisait à réactiver la souffrance et la méfiance de la patiente. Cette femme n’aurait donc « jamais surmonté sa croyance en l’accusation contenue dans cette lettre anonyme »[2]. Selon Freud, le psychiatre, face à une telle patiente, pourrait en conclure que celle-ci, qui dispose des éléments pour se rassurer « mais qui souffre tout autant que si elle reconnaissait cette jalousie comme pleinement justifiée »[3], a affaire à un délire de jalousie. Une fois l’idée délirante constatée, Freud pose la question de la singularité de cette patiente : « pourquoi le contenu du délire est-il dans notre cas précisément la jalousie ? »[4]. C’est à cet endroit qu’il situe la divergence entre la psychanalyse et la psychiatrie. Selon lui, le psychiatre « nous laisse en plan » sur cette question. Il ira chercher une explication à la maladie de cette femme dans l’hérédité et la transmission organique. Dans son texte, Freud ne remet pas en cause le volet organique en question dans l’état de sa patiente. Il indique simplement que ce n’est pas tout, et que la psychanalyse s’intéresse à autre chose. La psychanalyse n’admet pas qu’il soit arbitraire qu’une telle expérience vécue par la patiente soit venue la mettre en difficulté jusqu’à faire émerger chez elle un délire : « l’idée délirante n’est plus rien d’insensé ou d’incompréhensible, elle est riche de sens, bien motivée, s’inscrit dans le contexte d’une expérience chargée d’affect vécue par la malade »[5]. Il est aussi question du statut qu’il donne au symptôme : un effet de l’inconscient ayant une fonction pour la patiente. L’idée délirante « est nécessaire en tant que réaction à un processus animique inconscient [...]. Elle est elle-même quelque chose de souhaité, une sorte de consolation »[6] .
Ainsi, là où le psychiatre se préoccupe du symptôme de cette patiente comme d’un élément expliqué et déterminé par son organisme, Freud complexifie les choses et rend à cette femme son savoir inconscient sur ce qui lui arrive en lui donnant la parole et en analysant son discours.
Ainsi espère-t-il que la psychanalyse puisse inspirer et étayer la psychiatrie dans le futur. Son souhait sera exaucé dans la seconde moitié des années 1900 lorsque, dans l’élan de la psychothérapie institutionnelle, la psychanalyse se fraiera un chemin au sein de l’hôpital et influencera la psychiatrie et sa manière de concevoir la folie[7] contrebalançant une vision déficitaire des fous, les asilés à l’époque.
À la lecture de ce texte, nous ne pouvons qu’être frappés de constater à quel point la distinction qu’opère Freud entre la psychiatrie et la psychanalyse est transposable aujourd’hui, à l’heure où le tout-neuro tend à recouvrir les questions subjectives.
La suite à lire dans la prochaine newsletter…
[1] Freud S., « Psychanalyse et psychiatrie », Leçons d'introduction à la psychanalyse, Paris, PUF, p. 249-264.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Eyraud B., Velpry L. , « Ce que l'histoire de la psychiatrie nous dit de la psychanalyse », Revue du Mauss, 2011/1, n° 37, p. 103-120, disponible sur internet.
Comments