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Article dans Le Figaro : « Uber psy, non merci »



DÉCRYPTAGE

Des psychologues manifestaient la semaine dernière pour dénoncer la plateforme MonPsy. Le dispositif, créé par le gouvernement, veut généraliser l'accès aux soins psychiques, mais reste boycotté par de nombreux professionnels.

C'était l'une des promesses d'Emmanuel Macron lors des Assises de la Santé mentale en septembre 2021. Depuis le mois d'avril, avec le dispositif MonPsy, l'Assurance-maladie rembourse jusqu'à huit séances chez le psychologue, pour tous les Français souffrant de «troubles légers à modérés». Le but ? Améliorer l'accès aux soins mentaux, sur fond du slogan «En parler, c'est déjà se soigner».

Un fonctionnement qui divise profondément la communauté de la psychologie, et qui a donné lieu à plusieurs rassemblements dans différentes villes en France le 29 septembre dernier, sous la bannière «UberPsy, non merci».

Démocratiser l'accès aux soins

MonPsy, c'est d'abord un système qui propose aux patients en «souffrance psychique légère à modérée» un «annuaire de psychologues partenaires expérimentés», qui compte aujourd'hui 1900 professionnels. Les personnes qui veulent bénéficier de cette mesure doivent consulter un médecin qui vérifie l'état de santé du patient, avant de l'orienter vers un psychologue présent dans l'annuaire du dispositif. Selon la Direction de la Sécurité sociale, plus de 30.000 patients ont pu en bénéficier depuis sa création.

La première pierre de cet accompagnement psychologique est donc posée par le médecin traitant. «La relation avec ce dernier est intéressante», réagit Lucie*, une psychologue en région parisienne, membre du dispositif depuis sa création. «Il connaît son patient, il peut supposer ce qui lui convient au mieux. Il a un avis complémentaire intéressant». En résumé, le médecin traitant est en théorie un «référent pivot», parce qu'il a un rôle «vraiment important» auprès de sa clientèle...

«À condition d'en avoir un ! », réagit Solenne Albert. La psychologue clinicienne, orientée par la psychanalyse et chargée de coordination pour l'association des psychologues freudiens, ne décolère pas face à MonPsy. Le système MonPsy soulève l'enjeu sous tension des déserts médicaux, «des gens qui sont déjà, dès le début, exclus du dispositif car ils n'ont pas de médecin traitant avec qui ils se sentent suffisamment en confiance pour parler», affirme-t-elle. L'articulation entre médecin et psychologue est pour elle une faille essentielle du dispositif. «En demandant au patient de passer par le médecin traitant pour avoir accès aux soins mentaux, on le coupe d'un accès direct au psychologue».

D'autres saluent plutôt une démocratisation de l'accès aux soins psychologiques. «L'idée est très bonne, dans la théorie», relève le psychologue Pascal Zamparini, qui exerce en région parisienne. «On voit apparaître une autre population de patients, qui souffrent d'angoisse, ou d'anxiété plus légères et qui ne sont jamais allés consulter.» Gaspard en a notamment fait usage. «Les séances sont un peu plus courtes qu'une séance classique (environ 45 minutes) donc c'est un peu frustrant parfois, mais au moins ça vous force à aller à l'essentiel», raconte ce commercial de 25 ans, rajoutant qu'il souhaitait bénéficier d'un accompagnement psychologique depuis longtemps mais que les files d'attente dans les établissements publics et les prix des consultations en libéral l'avaient «toujours découragé».

D'autres, comme Sophie, ont refusé d'y faire appel. L'étudiante de 24 ans déplore la disparition du «bouche-à-oreille» dans le choix du psychologue, qui lui permettait d'aller vers un professionnel répondant vraiment à ses besoins. «Là, c'est un annuaire numérisé, on choisit un nom sans savoir trop qui c'est...». D'autant plus que le médecin et le psychologue échangent régulièrement sur le suivi de la thérapie du patient. Sophie n'est pas très à l'aise «avec l'idée que mon médecin traitant soit au courant, qu'il soit dans la boucle». Des propos que partage Solenne Albert, qui critique également le nombre de séances : «On tente de protocoliser le soin psychique, en imposant un nombre limité de rendez-vous avec une durée définie, et la thérapie est trop courte».

«Prévention en matière de dépression»

D'autant plus que MonPsy concerne une catégorie particulière de patients, qui souffrent de troubles légers à modérés : en clair, les «urgences et les personnes présentant un risque suicidaire» ne sont pas prises en compte. Des critères jugés trop abstraits pour Sophie, qui peine à comprendre si elle «rentre dans la case ou non». Pour Solenne Albert, ces conditions sont absurdes : «Évaluer les souffrances psychiques des gens et leur proposer une solution adaptée, c'est notre boulot, pas celui des médecins», explique-t-elle. «Et ces critères sont bien trop exclusifs pour concerner une majorité de patients».

Pourtant, pour Charlotte Richoux, psychologue insérée dans le dispositif qui exerce à Paris, le dispositif est très efficace en ce qu'il permet une «prévention en matière de dépression». «Je reçois par exemple des gens qui sortent d'une rupture amoureuse difficile, et je les accompagne pour éviter que le mal-être qu'ils ressentent ne bascule vers une forme plus grave.»

MonPsy, «poudre aux yeux» ?

Outil de prévention, de démocratisation... MonPsy fait débat, et d'autres professionnels pointent un système qui fait office de «poudre aux yeux» sans résoudre un système social public noyé sous les demandesLes centres médico-psychologiques (CMP) et autres structures médico-sociales qui regroupent des spécialistes de la santé offrant des soins mentaux remboursés par la sécurité sociale, peinent à accueillir les patients qui affluent. Selon un rapport de l'IGAS publié en juillet 2020, on compte environ 3,2 établissements de ce type pour 100.000 habitants de plus de 15 ans. Le rapport attire l'attention sur le «manque de moyens humains» et de financements qui rend difficile la «structuration de la réponse à la demande». «On utilise la condition précaire des psychologues jeunes diplômés, alors qu'avec les sommes d'argent investies, on pourrait renflouer les structures publiques et associatives, qui manquent cruellement d'argent pour se maintenir à flot», explique Solenne Albert.

Des propos que partage Camille Mohoric Faedi, psychologue clinicienne et psychothérapeute. Elle est membre de ManifestePsy, un collectif fondé par le psychologue clinicien et docteur en psychologie clinique et psychopathologique Frédéric Tordo, qui rassemble plus de 8400 professionnels tous secteurs s'opposant formellement à cette mesure. «On veut externaliser les soins psychologiques vers le privé. On fait d'une pierre deux coups en tuant le système public et l'identité même du métier.» Une position que défend Gaelle Guilleux, psychologue clinicienne. «MonPsy, c'est la partie émergée de l'iceberg d'un système de santé mentale complètement démantelé depuis des années».

En clair, «Si on ne résout pas le problème de l'accès aux soins psychiques dans le public, il y aura toujours des files d'attente de plusieurs années pour avoir une place en CMP», martèle Camille Mohoric Faedi.

Si, pour Charlotte Richoux, «la patientèle de MonPsy ne fait pas concurrence aux patients qui se rendent dans le public», il reste clair que les CMP «manquent de moyens». Quelles solutions apporter ? «Cela pose en filigrane la question de la place qu'on réserve à la folie aujourd'hui : souhaite-t-on que les patients se retrouvent à la rue ou alors bien pris en charge ?» explique Solenne Albert. Et de conclure, sur un ton définitif : «les solutions, on les a. Donnez des moyens au public !»

*Les prénoms ont été changés.

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