top of page

Associations libres autour de la notion de la responsabilité : neuro-sciences, bio-politique & psychanalyse-Partie 1






L’usage récurrent de la notion de responsabilité parmi les signifiants qui circulent actuellement dans les médias et le discours politique et institutionnel m’étonne toujours, imprégnés qu’ils sont par les découvertes en matière de neurosciences.

Cela devient encore plus étonnant, à mes oreilles en tout cas, vu l’importance de ce mot dans le champ psychanalytique : avouons-le-nous, la référence à la responsabilité du sujet est une de nos leitmotivs. En lisant ainsi le livre de François Gonon[1], ce signifiant attaché au discours des neurosciences appliqué à l’humain, m’a interpelée, me faisant penser, en mode libre association qui dé-lire le texte, ce que Freud ne cessa de répéter et que Lacan reprend à son compte, à savoir que la psychanalyse est née de la science.

Nous pourrions même avancer que, pour l’avènement de cet événement[2] qu’a été la naissance de la psychanalyse, « au commencement étaient les sciences » – le changement de paradigme épistémologique bouleverse le concept de sujet, l’élevant au rang de sujet de la connaissance. Et ce lien de parenté entre sciences (voire neurosciences) et psychanalyse, c’est le Père de la psychanalyse qui l’instaure : Freud, était un neurologue[3] avant d’être le premier psychanalyste.

Ce lien de parenté marque une vraie rupture épistémologique. Car, sans réfuter ce lien d’origine, Freud neurologue, en inventant la psychanalyse, est venu plutôt le subvertir, en amenant des abîmes de l’Achéron[4] ce que la science a forclos de son discours, à savoir l’inconscient – un savoir sans sujet, celui-ci étant barré, autrement dit divisé entre cogito et sum. À ce moment Freud a cessé d’être neurologue, en semant une autre arborescence qui s’érige en forme des mauvaises herbes à côté des sciences, comme Méphistophélés à côté de Faust.

Ainsi ce mot « responsabilité » a résonné pour moi, en me poussant en même temps à me poser la question de ce que responsabilité veut dire. En quoi l’usage du signifiant de responsabilité dans la pratique et la théorie analytiques pourrait-il reprendre et subvertir ce terme qui circule dans le discours dominant, néolibéral ?

Déjà c’est intéressant de se rappeler, restant foucaldien à cet égard, ce que F. Gonon semble démontrer subtilement, que les neuroscientifiques effectuent des recherches pour l’élargissement du champ des connaissances. Ce qui devient critique, c’est lorsqu’un discours se loge en place de et/ou à côté du pouvoir, à savoir l’usage sélectif de leurs hypothèses de travail, l’interprétation arbitraire des chiffres qui en découlent et l’usage qui en est fait, lorsque leurs travaux sont utilisés comme argument d’autorité pour justifier des décisions politiques.

L’hypothèse – réfutée par l’argumentation de F. Gonon –, du cerveau et d’une détermination génétique, comme étant à la base de certaines maladies mentales et de notre quotient intellectuel dont dépendrait notre capacité de nous débrouiller, voire de réussir dans la vie, entraîne la mise en avant de la responsabilité de l’individu et de l’autonomie comme des signifiants-maîtres de ce discours. Lorsque les supposées avancées des neurosciences prennent valeur de doxa irréfutable au service de la politique actuelle de la santé mentale et de l’éducation, les gouvernements se dessaisissent de leur responsabilité en tant que garants de la protection sociale qui suppléerait les failles des structures élémentaires de la parenté, en mettant en place des dispositifs pour le renforcement des capacités individuelles afin que chacun se débrouille tout seul.[5]



[1] Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral. Psychiatrie, éducations, inégalités, champ social, Nîmes, 2024. Les phrases en italique ou entre guillemets sont issus de ce livre.

[2] Cf. Badiou A., L’être et l’événement, l’ordre philosophique/coll.dirigée par F. Wahl, Seuil, Paris 1988 ;

Badiou A., Logiques des mondes. L’être et l’événement, 2, Seuil, Paris 2006.

[3] Il a publié entre 1884 et 1886 des articles issus exclusivement de ses recherches en laboratoire de neurophysiologie.

[4] Référence au fameux vers de l’Énéide de Virgile qui sert d’épigraphe du livre le Die Traumdeutung de Freud en 1899 : « flectere si nequeo superos acheronta movebo ».

[5] François Gonon cite l’exemple des pratiques dans l’éducation : « les gouvernements néolibéraux investissent dans les formations parentales plutôt que dans le soutien social », l’accent étant exclusivement mis sur la responsabilité des parents. C’est un discours qui « prône l’autonomie et la responsabilité individuelle mais les décisions qui en découlent ont plutôt tendance à diminuer l’autonomie des professionnels ».





Comments


bottom of page