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Attaque en règle !

Anne Colombel-Plouzennec


L’Académie Nationale de Médecine s’engage dans une prise de position officielle en adoptant, le 18 janvier 2022, son rapport intitulé « Psychothérapies : une nécessaire organisation de l’offre ». Cherchant à trouver des pseudos critères d’efficacité des psychothérapies, elle constate « la diversité des méthodes » et regrette un manque de lisibilité de l’offre. Elle y associe de facto un problème de « compétence » lié à « une formation initiale [qui ne serait pas] clairement définie ». Une fois ce problème postulé, elle affirme une solution sine qua non : « l’examen médical préalable à l’engagement dans une psychothérapie » s’impose comme la « condition pour que la solidarité nationale [puisse être] engagée », sous forme d’une prise en charge par l’assurance maladie.

Le constat est patent : c’est bien le maître capitaliste qui s’exprime ici en défendant la lisibilité de l’« offre » pour une meilleure satisfaction du « client ».

Et celui-ci mène une attaque en règle, contre le métier de psychologue, particulièrement lorsqu’il oriente sa pratique de la psychanalyse.

Au cœur d’une étude qui veut faire poids sur la psychothérapie, la psychanalyse est d’abord associée à un fait culturel, envisagé ici sous l’angle de la mode et de la superficialité : « on connaît l’engouement de la littérature du 20ème siècle aussi bien que du cinéma ou des médias pour la théorie psychanalytique », y lit-on en effet.

Puis, concernant « le choix de la psychothérapie et du psychothérapeute », deux points sont avancés. D’une part, « le patient doit recevoir une information claire et compréhensible sur les avantages et inconvénients de la méthode proposée », d’autre part, il importe que « le psychothérapeute ne soit pas en situation d’allégeance aveugle à l’endroit de sa référence théorique ou de sa modalité d’exercice ». Quelles sont les orientations concernées par ce propos ? La phrase suivante est sans équivoque : « Les mérites de la psychanalyse, de la méditation, de l’hypnose ou d’autres pratiques sont volontiers vantés par leurs adeptes trop souvent peu enclins à reconnaître la validité d’autres méthodes psychothérapiques ou la nécessité

d’une évaluation scientifique des pratiques qu’ils promeuvent ». La caricature est belle : le psychologue orienté par la psychanalyse, aveuglé par son « obligation de fidélité et d’obéissance »[1]... à qui d’ailleurs ? Pas au Maître en tout état de cause, … Là est peut-être le problème ! Des « adeptes » repliés sur eux-mêmes et sourds aux enjeux de la contemporanéité et ses effets sur leurs patients, … Peut-être les auteurs du rapport n’ont-ils pas accès à l’interprétation que propose sans cesse la psychanalyse des enjeux de son temps et aux nombreux enseignements qu’elle dispense en connexion avec le monde ? Peut-être ignorent-ils qu’une des conditions de sa grande vitalité réside dans la réflexion continue qu’elle encourage, entre consensus et dissensus. Peut-être refusent-ils de considérer combien elle est ressource pour les psychologues précisément lorsqu’ils ont affaire, dans leur exercice, aux conséquences du procès d’éradication de la subjectivité ?

Bref, on veut faire consister le vieux serpent de mer de la psychanalyse sectaire aux fidèles repliés sur leur entre-soi, et railler ses mérites en matière psychothérapeutique, à rebours de tout ce qu’elle montre et démontre.

Ajoutons simplement que l’opération de dénigrement manque de rigueur lorsqu’elle veut confondre psychanalyse et psychothérapie. « Hors la maîtrise en psychanalyse acquise dans certaines universités françaises il n’existe pas de qualification universitaire en psychothérapie », lit-on en effet. La psychanalyse n’est pas une psychothérapie, pas plus qu’elle n’est un métier. La « maîtrise en psychanalyse acquise dans certaines universités françaises » n’ouvre d’ailleurs pas à l’exercice de la psychanalyse et encore moins de la psychothérapie.

Mais alors, pourquoi une telle attaque ? L’éminente académie de médecine, qui endosse en ce rapport les signifiants du capitalisme, se fait ici curieusement le relai grossier du maître contemporain qui ne semble pas supporter ce qui lui échappe, que ce soit sous les espèces des psys qui ne s’inféodent pas, que de la parole des patients elle-même qui se dérobe à son contrôle ! Ajoutons que son propos s’inscrit en faux par rapport au code de déontologie qui, d’une part, exige du psychologue « l’actualisation régulière » de ses « connaissances théoriques et méthodologiques », et, d’autre part, lui garantit la responsabilité, « en toute autonomie, du choix et de l'application de ses modes d’intervention, des méthodes ou techniques qu’elle·il conçoit et met en œuvre ».

Alors, l’académie voudrait-elle des psy-soldats ?

[1] Article « Allégeance », Larousse, [en ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/allégeance/2331]

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