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Stella Harrison

Au plus près, un livre





Vous souvenez-vous du film La vie est belle, de Roberto Benigni ?

Ce film avait été un triomphe au festival de Cannes en 1998, alors qu’il avait fait le pari de rire de l’horreur, qu’il avait fait comédie des camps de la mort. S’il avait suscité très vite un malaise à l’époque, il avait reçu plutôt un bon accueil auprès des communautés juives qui avaient pu le voir projeté en avance.

Benigni n’avait pas voulu alors faire un film réaliste et nous dire le Vrai sur le Vrai, il n’avait pas cherché à nous éduquer. Le papa ébouriffé qu’il avait porté à l’écran mentait à son fiston, bien-sûr sans vergogne. On était dans le jeu, pas dans les bonnes intentions. Le réalisateur n’avait pas fui la vérité. Cocotte-minute. Nous avions sous les yeux un père qui, pour son fils, ne cessait de parler, d’inventer, d’ouvrir toutes les pochettes-surprises possibles. J’ai le souvenir d’un père qui se tordait, se retordait. Pour faire vivre son fils. Horreur de la fin de notre siècle.

 

Avec le livre de Louise Lambrichs, l’horreur est celle de la fin d’une vie, heurtée de plein fouet par l’annonce de « l’irréversible » d’une maladie évolutive gravissime. La vie, ça finira un dimanche est un arrachement gigantesque et terriblement doux à l’âpreté de la vie.

Au fond de la détresse la plus profonde, quand, envahis de notre corps, on n’entend, et à gauche, et à droite, et devant, et derrière soi, et au-dessus et en bas, l’empire de sens meurtris par le drame de la vie qui s’en va ; quand on se perd dans le regard de l’ami sur son lit d’hôpital ; quand on veut hurler l’injustice, le chagrin de sa perte, eh bien ce livre est une douce proposition. Car oui, le chagrin peut se dire autrement, avec d’autres mots et d’autres sels que ceux qui se voueraient à panser trop vite une plaie mal nommée. Louise Lambrichs nous invite à cette subversion inattendue, absolument inespérée : on peut choisir d’aller savourer le miel de chaque instant et presque toujours un peu plus, d’autant plus que le temps, lui, fuit sans relâche. Et cela, elle ose le dire presque ainsi. Jamais moraliste. Pourquoi cette force ? Ce livre, tout attelé à l’attention à l’aimé, nous montre la (t)erreur du comportement standard, des « démarches d’accompagnement valable pour tous[1] ». Il pourfend vigoureusement les bons sentiments. Ce livre est un remède à la mélancolie, et beaucoup plus.

Ce livre d’amour qui parle d’elle, qui parle de lui, de lui qui lui annonce l’irréversible chaque jour un peu plus visible, bâtit au lecteur des ailes gigantesques et robustes, comme le papa – décidément j’y reviens ! – du film de Benigni, La vie est belle. Ce livre est magnifique, car il secoue vivement les linceuls de la torpeur. Il fait un pied de nez à l’ennui glauque de la pulsion de mort. Lisons :

« Si notre avenir se rétrécit comme une peau de chagrin trop bien nommée, si notre espace physique se réduit chaque jour (limitant nos déplacements), l’espace physique et l’espace temporel dans lesquels il m’entraîne prend une tout autre dimension : non seulement le présent acquiert une densité et une intensité qui jusqu’au dernier jour ne cesseront de s’accroître, mais il s’enrichit désormais, de plus en plus, de son passé[2] ».

Ce livre dérègle toutes les pendules, car l’homme aimé, malade certes, ne se laissera pas faire par l’horloge et son tic-tac glacé. C’est lui qui décidera, convaincra, et, céleste, vaincra et convaincra sa Belle qu’il tient en main sa vie, son destin. Avec elle. Il osera somptueusement établir les règles d’un nouveau jeu. Car face à la mort, la dame ne blêmit pas, elle ne nous noie ni ne se noie dans le pathos,. Elle pousse, elle ouvre bien grand les portes vers des voix nouvelles, peu lues et peu entendues et des voies inédites. On aère.

Oui c’est un livre d’amour où la femme entend l’autre, et pas ici la voix féroce d’un surmoi qui dicterait une conduite adaptée. Plus encore. On est emporté, comme l’enfant du film évoqué, par un grand souffle, une joie un peu folle alors que tout est peste et que se répète pour le lecteur l’effort de faire face à un récit qui convoque la mort. Comme dans Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson, loin des protocoles, on s’envole.

Mais pourquoi ce livre nous touche-t-il autant et pourquoi ses mots percuteraient-ils autant les psychologues freudiens ?

C’est l’histoire d’un amour digne, d’un amour qui élève et s’adresse. L’auteur nous fait un cadeau, nous sommes dans son écriture, dans son projet :

« Peut-être aussi pour m’aider à admettre que face à l’irréparable, je ne pouvais pas faire plus. Pour m’en séparer et les partager en les inscrivant, il m’aura fallu plus de vingt ans, et que je sois soutenue par la conviction que le partage de cette expérience singulière pourrait aider et inspirer peut-être d’autres amoureux et amoureuses confrontés à la maladie mortelle de leurs plus chers[3] ».

Merci Louise Lambrichs.

 



[1] Lambrichs L.L., La vie, ça finira un dimanche, Paris, La Rumeur Libre, 2024, p. 147.

[2] Ibid., p. 101. 

[3] Ibid., p. 147. 

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