top of page
Philippe Cousty

Faire confiance à l’inconscient





Qu’est-ce que le terme freudien peut apporter à celui de psychologue ? Voilà une des questions que nous traitons dans notre groupe de lecture sur le texte de Freud, Le début du traitement.

Je proposerai d’aborder le signifiant freudien du côté du moyen de traduire ce qui se produit dans la rencontre entre deux personnes, l’une que l’on nomme le psychologue, l’autre le patient.


Freud nous dit : « Il ne se passe rien d’autre que ceci : ils parlent ensemble »[1]. L’on échange, donc, des paroles. Sur quoi ? Sur quelque chose qui fait énigme pour celui qui s’adresse au psychologue et dont il suppose qu’il va l’aider à trouver une solution, voire à s’en débarrasser pour aller mieux.

Freud propose de ne pas s’embarrasser de savoir quoi écouter, quoi rejeter. Ce dont il s’agit c’est d’« écouter sans se préoccuper de savoir si l’on va retenir quelque chose »[2] .

Mais, me direz-vous, cela n’est pas très sérieux ! Ne faudrait-il pas noter, voire enregistrer ? Et ne va-t-on pas oublier des choses essentielles ? « Les meilleurs résultats thérapeutiques, au contraire, s’obtiennent lorsque l’analyste procède sans s’être préalablement tracé de plan, se laisse surprendre par tout fait inattendu, conserve une idée détachée et évite toute idée préconçue »[3] .

Il faut « prendre comme modèle […] le chirurgien » qui laisse « de côté toute réaction affective et jusqu’à toute sympathie humaine » et « ne poursuit qu’un seul but : mener aussi habilement que possible son opération à bien »[4].

Pas d’empathie, terme si souvent en vogue. Freud convoque à l’effacement de sa personne et de ses sentiments. C’est une attitude très exigeante consistant à se centrer sur le sujet de l’énonciation, là où il surgit dans les troubles de l’énoncé, voire dans les énoncés troubles.

Alors, pour poursuivre la comparaison du psy avec le chirurgien, dans ce tissu que constitue le texte d’un sujet, il faut savoir couper au bon endroit, afin de séparer les adhérences qui compactent et collent à la signification et au sens, créer une séparation, rétablir, par le hors sens, une zone dans le propos qui redistribue le tissu autrement et lui offre une autre oxygénation, ouvrant à une insertion dans le lien social moins coûteuse. Place qui n’est pas celle de redresser le comportement ou de de rééduquer, mais donner sa vraie valeur à la parole pour le sujet qui vient.

Écouter c’est se soumettre, donc, à une vraie discipline. Freud dira qu’il faut accepter de se passer de tout outil, de tout appareillage, n’utiliser « aucun instrument, pas même pour l’examen »[5]  ; il faut accepter de se priver. Car Freud fait confiance à l’inconscient qui se cache dans les symptômes et les dires du sujet qui s’adresse à lui car il « souffre essentiellement de choses qu’on lui a dites. Voilà finalement ce que Freud a découvert. Le sujet […] est malade de certains énoncés »[6] énoncés qui l’écrasent !

Il n’y a pas à reculer devant cela. Et il y a à accepter qu’un sujet prenne le temps, le temps qu’il lui faut.

Car le texte que nous entendons est un texte inédit, qui se produit dans la fraîcheur de ce moment de la séance, et dont il convient de permettre au sujet d’établir l’édition. Bien sûr le patient tentera de toutes ses forces de faire en sorte que ça tienne droit, de ne pas « s’éparpiller », de « savoir ce qu’il dit », d’« être cohérent ». Là aussi, il lui faut faire un effort pour faire confiance à cette parole qui le traverse. Il doit apprendre qu’il parle sans savoir ce qu’il dit et se défaire de tout l’appareillage qui tente que ça tourne rond.


Aujourd’hui comme à l’époque de Freud, on veut rayer sans même accepter la controverse la découverte freudienne, on la dit has been, on la dénigre. S’y rajoute le scientisme, cette fausse science qui se fait passer pour la vraie, car elle noie tout dans le chiffre et la statistique.

On cherche à voir. L’IRM est un outil formidable d’objectivation, mais qui ne saurait parler à la place du patient. Il s’agit d’entendre non de voir.

Alors, la découverte freudienne est incontournable si l’on veut conserver au signifiant psychologue un éclat. Sans cela, ce terme sera confondu avec les thérapies du bien-être, ou transformé en technique au service de la rééducation comportementale.


Si parler soulage, alors c’est que la parole a un poids, qu’elle transporte un poids, ou convertit un poids en mots. La matière des mots, c’est ce qui explique qu’ils aient un poids. Il y a dans les mots un grain particulier. Le verbe s’est fait chair, nous rappelle Freud.

L’inconscient, c’est l’autre scène à partir de laquelle une respiration peut avoir lieu, il chiffre, maquille, déforme ce qui, sinon, de traverser le sujet brutalement, le plongerait dans la détresse.

Nous sommes malades des mots reçus, de leur signification, mais plus encore de la charge de destruction que nous y avons mise. Mais il y a pire, quelque chose en nous en redemande toujours plus, encore ! Car c’est exquis, ne reculons pas devant cela au prétexte que c’est insupportable ! L’actualité est là pour convaincre que cela n’est pas du blabla !

Une petite fille de deux ans et demi illustre bien tout cela : alors qu’elle essayait de transmettre ce qui l’agitait, elle dit « je ne connais pas les paroles », et dans le même temps, dans un geste rageur, elle jette, un sourire aux lèvres, son assiette par-dessus la table, envoyant balader tout ce qui s’y trouve.

Entendre cela comme un appel, d’un lieu où, pour le sujet, se dit quelque chose mais dont il n’a pas l’accès, suppose l’hypothèse de l’inconscient, ce que cette petite fille dit très bien : elle n’a pas les paroles, mais elle suppose qu’elle pourrait les utiliser pour se séparer autrement.

Travailler avec l’hypothèse de l’inconscient, c’est offrir au sujet une ouverture vers un plus de vie qui l’éloigne de ce qui anime chacun d’entre nous et dont on voit les ravages dans le monde aujourd’hui, ce que Freud a nommé la pulsion de mort.




[1] Freud S., La question de l’analyse profane, Paris, Folio essais, 1998, p. 33.

[2] Freud S. « Conseils aux médecins », La Technique psychanalytique, Paris, PUF, 1997, p. 63.

[3] Freud S., op cit., p. 25.

[4] Idem., p. 65.

[5] Idem., p. 33.

[6] Miller J-A., « Vous avez dit bizarre ? », Quarto, n°78, p. 6.

397 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Commentaires


bottom of page