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Agathe Sultan

La psychothérapie est-elle soluble dans le cerveau ?




C’est la question que pose la première annexe du récent rapport de l’Académie de médecine. Ces pages, qui ont de quoi étourdir, méritent un petit effort pour ne pas reculer comme David devant Goliath.

De quoi s’agit-il ? D’observer les modifications cérébrales induites par les psychothérapies, leurs corrélats anatomo-fonctionnels et biologiques pour comparer l’efficacité des différents types de psychothérapies, dans plusieurs pathologies : le trouble obsessionnel compulsif, la dépression, le stress post-traumatique, les états border-line et, plus insolite, la phobie des araignées.

La mesure s’appuie sur les techniques les plus à la pointe de la neuroimagerie : IRM, TEP (tomographie par émission de positons), SPECT (tomographie par émission monophotonique), rCBF (regional cerebral blood flow), BOLD (blood-oxygen level dependent).

Les protocoles consistent en une comparaison des effets de la psychothérapie à ceux de la pharmacothérapie. Il s’agit aussi « d’amplifier les dysfonctionnements cérébraux, en ayant recours, pendant les séances de psychothérapie, à des protocoles de déclenchement des symptômes cliniques ». Ce point méthodologique a attiré notre attention car il peut faire difficulté sur le plan éthique. Passent encore les techniques dites de provocation par images aversives pour la phobie des araignées, mais dans le cas du stress post-traumatique, le rappel de l’événement traumatique paraît plus délicat.

Commençons par dire un mot de la phobie, car si celle des araignées est loin d’être un motif fréquent de consultation, la clinique nous enseigne qu’elle est toujours une solution pour des sujets, petits ou grands. Le cas rendu célèbre par Freud du petit Hans, nous a appris qu’elle a une fonction signifiante, qu’elle veut dire quelque chose de ce qui fait énigme, du rapport de l’enfant à son propre corps, de la place qu’il a pour sa mère, et de la façon dont le père s’arrange de cela et en parle. Dans le cas, plus fréquent, de la phobie dite sociale, c’est bien souvent un stratagème pour se protéger de la méchanceté de l’Autre, de son regard, ou de sa présence. Il n’est parfois pas indiqué d’y toucher.

L’abord du traumatisme, ensuite, appelle quant à lui à un certain tact. Si la possibilité est toujours offerte de pouvoir en parler, car nous pouvons tout entendre, il n’est pas d’usage d’y pousser nos patients. Charge à chacun de loger ce réel, souvent trop envahissant, dans des lieux qui peuvent être recouverts, laissés en friche, voire oubliés ou délestés de leur charge affective.

La neuroimagerie a pris son essor dans les années quatre-vingt-dix avec la mise au point et l’accélération de technologies nouvelles, faisant changer d’échelle et de paradigme les sciences du cerveau et de la cognition. Là où le microscope et le prolongement de l’oeil humain et du regard avaitent ouvert la voie à une nouvelle médecine à partir de l’étude du corps mort, les neuro-sciences et la médecine ultra-moderne ont surmonté un nouvel impossible. Elles peuvent désormais observer le corps vivant, in situ, avec le rêve fou, de voir le cerveau penser, parler, rêver, ou dysfonctionner, voire être psychothérapié.

La neuroimagerie prend le visible pour le réel, et le réel pour le visible et en étudiant le fonctionnement du cerveau, l’effet des psychothérapies sur le cerveau, elle se focalise sur « le cerveau universel », celui du pour tous, comme le souligne Gérard Wajcman. « C’est en quoi elle [la science] fonctionne dans l’universel. C’est-à-dire que le sujet, dans sa singularité, n’est même pas évacué : il n’entre pas dans le système. [1]»

Les neurosciences fascinent mais lorsque même le plus éminent chercheur américain, Thomas Insel, fait le constat, à la fin de sa carrière, que les progrès et les investissements démesurés dans les neurosciences ne profitent pas aux patients, notre société a le devoir de s’interroger. Il raconte s’être fait interpréter par le père d’un patient schizophrène clochardisé : "Notre maison est en feu", a déclaré l'homme, "et vous parlez de la chimie de la peinture. Que faites-vous pour éteindre ce feu ? [2]»

La neuroimagerie réalise le fantasme d’un sujet transparent (aux autres et donc à lui-même), tandis que la psychanalyse et son inventeur, Sigmund Freud, en ont proposé l’envers, un sujet opaque, qui est précisément celui l’inconscient. Le symptôme occupe toujours une place dans la vie d’un sujet et il a une fonction qui inspire le respect. C’est le pari de qui veut faire l’hypothèse de l’inconscient, que de croire au transfert et à la singularité, un coin du voile peut se lever. C’est le pari de qui va raconter aussi ses rêves et ses actes manqués, de qui croit au pouvoir de la parole et éprouve la preuve de son efficacité dans sa vie même. Peu importe que cette preuve soit visible dans le cerveau !

[1] Wajcman, G., « L’Oeil absolu », Denoël, 2010, pp. 29-30.

[2] Barry, E., « The « nation psychiatrist » takes stock, with frustration », New York Times, disponible sur internet.

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