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Alexandre Gouthière

Pari sur l'éducation





Le dernier rapport du Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge paru le 7 mars 2023 dresse un constat alarmant sur l’actualité de la souffrance psychique chez l’enfant dans notre pays et sur les moyens mis en œuvre actuellement pour y remédier. En s’appuyant sur des données médico-administratives fiables (CNAM[1], ANSM[2], EPI-PHARE[3]), des études scientifiques de référence et des observations cliniques solides, le Conseil nous alerte sur l’ampleur du problème, mais surtout sur l’urgence de tenir compte des multiples facteurs qui contribuent au mal-être des enfants, afin de trouver des solutions permettant d’agir pour prendre soin d’eux.

En creux, on mesure, à l’aune de l’éthique des conséquences, l’effet d’oubli produit en la matière par l’hégémonie grandissante des thèses issues de la psychiatrie biologique dans le champ de la santé mentale. N’envisager la psyché de l’enfant que sous le prisme de la biochimie de son cerveau aboutit à une méconnaissance croissante des ressorts subjectifs du symptôme et à une incrédulité dans les pouvoirs de la parole.

Ainsi, les rédacteurs du rapport rappellent avec justesse que les symptômes psychiques de l'enfant ne peuvent être réduits à une simple logique biomédicale. Et ce point de vue est porteur d’espoir, car considérer le symptôme de l’enfant au regard de sa dynamique familiale, de sa culture et de son environnement socio-éducatif, fait de tous ces liens dont le médium essentiel est la parole, des lieux où les principes de son pouvoir peuvent opérer.

C'est ainsi qu'une partie conséquente du rapport est consacrée à l'éducation. Signalant « l’incidence des facteurs scolaires et sociaux sur le diagnostic et la médication des enfants », les membres du Conseil nous invitent à « penser l'éducation : la famille, les pédagogies nouvelles et alternatives, les dynamiques inclusives ». Ils proposent alors nombre de leviers pédagogiques pour soutenir l’enfant en difficulté dans son environnement familial, scolaire et social. Et ils nous rappellent les atouts dont nous disposons en la matière : les savoir-faire éducatifs inspirés des pédagogies traditionnelles, mais aussi les pratiques issues des travaux de nombreux chercheurs et pédagogues reconnus[4], dont on redécouvre la richesse et l'immense contribution aux méthodes d’enseignement et d’éducation spécialisée.

C’est donc un pari sur les ressources éducatives que propose ce chapitre du rapport. Il souligne par exemple les vertus de l'éducation spécialisée, dont il pointe le manque de recours aujourd’hui, et qu’il appelle à développer. Mais surtout, il place le savoir relatif à ce domaine du côté des professionnels de terrain. C’est ainsi qu’au sujet des paradoxes qui s’observent aujourd’hui dans les effets de l’inclusion, il soutient que « les expériences d’inclusion réussies semblent toujours l’œuvre de bricolages et d’invention in situ. D’où la nécessité de privilégier la créativité des professionnels et des équipes plutôt que d’abonder les recommandations standardisées ou les réponses stéréotypées ». Et d’ajouter : « Ces bricolages se fondent sur la réactualisation des savoir-faire pédagogiques et sur la mise au travail de collectifs pensants ».

Enfin, ce chapitre du rapport nous renvoie à ce que tout éducateur et même tout parent a pu un jour mesurer dans son expérience propre : « les situations de crise ne sont généralement pas provoquées par des raisons médicales ou biologiques, mais par une demande, un événement, un “non”, un sentiment de frustration… qui demandent des éducateurs qu’ils inventent le geste éducatif adapté à la situation ».

Au-delà des protocoles standards et des étiquettes diagnostiques donc, le HCFEA nous invite à la pensée et l’invention en matière d’éducation !

[1] Caisse Nationale d’Assurance Maladie. [2] Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé. [3] Groupement d’Intérêt Scientifique constitué fin 2018 par l’ANSM et la Cnam, qui réalise, pilote et coordonne des études de pharmaco-épidémiologie pour éclairer les pouvoirs publics dans la prise de décision et qui répond à la demande croissante d’études basées sur les données complexes et massives du Système national des données de santé (SNDS). [4] Houssaye J., Quinze pédagogues : idées principales et textes choisis, Paris, Fabert, 2012.

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