Avec le tout dernier rapport [1] du « Conseil de l’enfance et l’adolescence » émanant du HCFEA[2], c’est probablement la première fois depuis plus de vingt ans qu’une instance chargée d’expertise placée auprès du premier ministre renoue avec la complexité de la clinique sur les questions de santé mentale des enfants.
À titre d’exemple, le Haut Conseil intègre les pratiques pédagogiques comme « [faisant] partie de la solution[3] » thérapeutique en faveur des « enfants qui vont mal ».
En 2018, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse, installait un « Conseil scientifique de l’Éducation nationale » présumé délivrer un savoir « scientifique » sur les mécanismes d’apprentissage. Nombreux furent les enseignants à craindre de se voir déssaisis de leurs savoirs et savoir-faire au profit de « chercheurs » et autres experts. D’autres y virent un retour au principe du taylorisme consistant « à déposséder les ouvriers de leur savoir et à leur imposer une pensée organisatrice extérieure qui va diriger leur travail[4] ».
Aujourd’hui, le HCFEA fait valoir que les pédagogues, depuis le xixème siècle, de Decroly à Freinet, par leurs pratiques innovantes et alternatives, contribuent, eux aussi, aux soins « d’enfants présentant des difficultés psychologiques, d’apprentissage, de relation, de socialisation ou en situation de handicap ». Pourquoi de ne pas restituer aux enseignants leurs connaissances et habiletés tant avec les enfants qui vont bien qu’avec ceux qui « vont mal » ? Mes nombreux échanges professionnels avec des professeurs m’ont fait découvrir leur sens clinique remarquable : beaucoup d’entre eux sont des interlocuteurs précieux dans l’accueil et la prise en charge des enfants en souffrance. C’est, par exemple, en concertation avec eux et les parents que nous pouvons réfléchir – dans l’intérêt des patients – au délicat problème des limites du « parcours d’inclusion des enfants en difficultés dans les services de droit commun », soulevé par le rapport.
Distinguer entre un comportement, objet de la plainte de beaucoup, et ce qui le motive : la souffrance de l’enfant – qui souvent ne demande rien –, sont deux aspects ne coïncidant pas forcément, souligne le rapport. Or, la pratique dominante aujourd’hui, par manque de moyens des lieux d’accueil de la parole des jeunes souffrants, consiste à ne traiter que le comportement, et essentiellement par la prescription de psychotropes[5].
Parmi les « leviers pour penser l’environnement éducatif », on retiendra celui où l’enfant est « conduit à avoir une prise sur une partie de son activité » : autrement dit, l’idée selon laquelle l’Autre supposé savoir comporte un trou est lancée : ainsi, loin de consister à apprendre passivement, le savoir est « à prendre[6] » activement dans l’Autre.
Le Haut Conseil attire notre attention sur les travaux concernant « un environnement éducatif préventif et potentiellement résilient pour la santé mentale des enfants », à partir du « postulat central que “l’enfant est une personne” »… mais non sans en mentionner le contrepoint, à savoir la question de « l’éducabilité »… laquelle n’est pas sans tintinnabuler aux oreilles d’un psychologue freudien, pour qui un reste inéducable subsiste chez tout un chacun que la parole affecte, faisant de l’éducation un métier « impossible » selon Freud.
Quant aux « rythmes de l’enfant », le HCFEA rappelle que s’il convient de les structurer, « une place [doit être faite] au besoin de jouer et d’expérimenter ». Le Conseil dégage donc l’éducation de l’idée de maîtrise et de contrôle permanents, pour accorder l’importance nécessaire à l’association libre, à l’invention, à partir de ce qu’un enfant a de plus singulier par conséquent.
Le rapport aborde encore le thème de la construction du lien social, soulignant que « l’enfant a besoin d’être reconnu comme personne dans un collectif » : la prise en compte des identifications imaginaires est renforcée par la mention d’une dimension éminemment symbolique : « les conseils d’enfants » issus de la pédagogie institutionnelle. Un « enfant responsabilisé dans son rapport à lui-même et aux autres » (mais pas aux dépens de la responsabilité des grandes personnes qui s’en occupent) correspond donc à « une partie de la solution » : qu’un enfant, pris dans un transfert au praticien, s’intéresse à son propre cas et construise un « symptôme » au sens analytique, lui permettra de se faire responsable, c’est-à-dire de s’efforcer de « répondre » de ce qu’il dit et fait.
En bref : un rapport-rayon-de-soleil pour les freudiens !
[1]. « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? », rapport adopté le 7 mars 2023, disponible sur internet.
[2]. « Le HCFEA », disponible sur internet.
[3]. « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? », op. cit., p. 124-130.
[4]. Linhart D., Entretien avec Danièle Linhart, Psychologues freudiens, newsletter du 15 janvier 2023, disponible sur internet.
[5]. Charlène Catalifaud, « Santé mentale des 6-17 ans : la prescription des psychotropes a plus que doublé entre 2010 et 2021, le manque de moyens mis en cause », Le quotidien du médecin, 13 mars 2023, disponible sur internet.
[6]. « Le statut du savoir implique comme tel qu’il y en a déjà, du savoir, et dans l’Autre, et qu’il est à prendre. C’est pourquoi il est fait d’apprendre. » Lacan J., Le Séminaire, livre xx, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 88-89.
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