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Psy, de quoi es-tu le nom ? Quand les mots ne sont pas secondaires... & pour la liberté de choisir





Cet opus dense et concis d’une centaine de pages, Psychologues sur le qui-vive [1], publié récemment dans la nouvelle collection « Tag » des Éditions du champ social, a été écrit par le trio de voix-plumes, composé de trois psychologues freudiennes, Solenne Albert, Anne Colombel-Plouzennec et Nathalie Georges-Lambrichs. Cette nouvelle collection se définit comme « un espace de dire et d’interprétation du malaise contemporain dans la civilisation ». Ce dire interprétatif est ici noué à la lettre, de laquelle sourd une énonciation à trois voix qui retentit au creux de l’oreille du lecteur – nous tenant en haleine jusqu’à la dernière page. C’est dire l’écho d’une transmission bien vivante. Ou encore de l’expérience qui pour le dire avec Walter Benjamin « se transmet de bouche à oreille » [2]. Pour ces trois psychologues engagées sur le terrain, pour qui le mot clinique n’est pas un vain mot – étymologiquement, la clinique c’est se tenir au chevet du patient, comme elles le rappellent à propos –, le débat qu’elles posent ici est central : quelle clinique voulons-nous et décidons-nous de donner à la découverte de l’inconscient freudien dans notre société ? 

Si la question se pose, c’est que le corps de métier est soumis à des coups de boutoir répétés des pouvoirs publics qui, en outre, le court-circuitent dans ses décisions. 

Prenant au sérieux les mots, leurs poids, et donc à l’horizon le lecteur, c’est aussi cet art du bien dire le malaise contemporain – cet Unbehagen in der Kultur – qui nous saisit et regarde chacun de nous. Esthétique et engagement se nouent dans la veine politique du manifeste, du pamphlet, etc., qui ont pour vocation ici de discuter des enjeux politiques, scientifiques et théoriques, ayant trait à la clinique au sein « des institutions de soin, de l’éducation et du champ social ». 


Où et comment trouver « son » lieu et « ses » oreilles ? Quand il nous arrive d’avoir la poitrine oppressée durablement par des paroles ? Que quelque chose par-delà la volonté se répète, ce que nous appelons communément une addiction, compliquant le lien social, enfermant la personne sur elle-même et son objet d’élection ? Que la colère ou la jalousie, toute la cohorte de nos passions tristes nous gâchent trop souvent la fête ? Que les passages du jour à la nuit et de la nuit au jour se fassent sous le signe du désarroi ? Que la ronde de l’inertie nous arrime plus souvent qu’à notre tour sur place ? Quand il nous arrive de nous sentir seuls même avec les autres, mal dans le lien social familial, amical, professionnel – ou avec soi-même ? Ou assaillis par le doute dès qu’il s’agit de choisir – oui ou non se tenant étrangement la barbichette jusqu’à en être KO – ne sachant plus ce que nous désirons ? Quand ce n’est pas notre corps qui se met à défaillir, toujours au mauvais moment, ou encore l’image de ce dernier qui nous obsède ? Que nous sommes envahis de pensées morbides ou d’un je ne sais quoi d’indiscernable mais angoissant avec un idéal du moi autonome dévastateur ? Que nous nous pensons fou ou folle ? Qu’un deuil se fasse éternité, une rupture, condamnation ? Qu’un enfant prenne toute la place dans une fratrie, qu’il aille mal, que des parents éprouvent de la culpabilité, que le fiasco s’invite là où pourtant nous avions rêvé harmonie ? Que l’angoisse, ce suprême affect du sujet, se lie à l’âge, à la mort ou aux maladies ? La peur ou « le stress » s’éprouvent et se disent, devant la maladie, la vraie, et les souffrances morales qui l’accompagnent souvent. 


Voici un aperçu non exhaustif de nos boiteries, bizarreries, plus ou moins symptomatiques, angoissantes ou inhibitrices, pour le dire avec Freud, comme du cortège de nos passions tristes pour le dire avec Spinoza, mais aussi de nos maladies organiques que nous remettons aux mains de la médecine, et volontiers aux impressionnants progrès de la science et la technique dans le traitement de ces dernières, qui nous affectent néanmoins chacun singulièrement, selon nos couleurs subjectives. 


Qui aime être alors renvoyé à ce qui dans l’imp-r-udence du discours courant prédique sur nos supposés faiblesses, fautes, manques de volonté, « dingueries », quand souvent nous ne savons pas nous-mêmes ce qui vient nous faire trébucher, et que gît une douleur subjective qui n’a jamais pu se dire, ni être entendue en retour ? Et pour laquelle le temps, le temps subjectif précisément, est un partenaire incontestable ? Et quand glissent sur vous, comme l’eau sur les plumes d’un canard les discours feel good, de développement personnel, qui ont d’ailleurs envahi les médias de masse ? Que l’identification à une communauté sur le partage de traits communs vous laisse malgré tout mal avec vous-même, à la marge ? Et enfin quand les mots de vos proches qui se veulent pourtant bienveillants ne suffisent jamais à remplir le manque constitutif de votre existence ou finissent par vous hérisser le poil ? 


C’est d’un « psy » que nous sommes alors en quête, d’un lieu à soi, d’une oreille à soi pour nous entendre. 


Aussi pour en trouver un-e qui convienne, la liberté de choisir son « psy » demeure-t-elle fondamentale aujourd’hui et demain, comme, pour le futur « psy », la liberté de pouvoir choisir sa formation. Et, pour ce faire, autant être informé de ce que derrière les titres de psy, il est possible ou pas de rencontrer, comme discours et approches aussi bien pour celle ou celui qui souhaite le devenir, que pour celle ou celui qui le consulte.


Que cet ouvrage s’adresse à des étudiants en psychologie ne fait aucun doute, mais aussi à toutes celles et ceux qui ont à souffrir d’une volée de mots les ayant marqués au fer rouge, 

à tout lecteur in fine qui a l’idée que la parole a des pouvoirs… à même d’écarter la santé, telle que l’OMS la définit comme « un état complet de bien-être physique, mental et social », précisant qu’il « ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », et d’aller au-delà du bien-être supposé harmonieux évoqué non sans ironie par le trio, à partir du discours du médecin Erixymaque, dans Le Banquet de Platon. 


[1]  Albert S., Colombel-Plouzennec A., Georges-Lambrichs N., Psychologues sur le qui-vive, Nîmes, Champ Social, Col. Tag, 2024. 

[2]  Benjamin W., « Expérience et pauvreté », Œuvres, I. II., Paris, Gallimard, 2000, p. 365. 



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