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Retour à Freud



Célie Gérard
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En janvier 2022, l’Académie nationale de Médecine a publié un rapport intitulé « Psychothérapies : une nécessaire organisation de l’offre ». Ce rapport diffamant constitue une prise de position officielle de cette institution, il a une influence sur les questions de santé publique, sur les projets de décrets et de lois. Les psychologues, pourtant concernés au premier plan par cet écrit, n’ont été consultés à aucun moment. Face à cela, la commission de lecture de textes de l’association des Psychologues freudiens s’est mise au travail pour analyser, reprendre et réécrire les conclusions et recommandations émises et a publié au mois de septembre une brochure intitulée « Psychologues – L’heure du choix ». Cet écrit constitue un écho à l’immense travail réalisé par les psychologues de l’association.

Le rapport de l’Académie a pour objectif de faire du psychologue clinicien un professionnel de santé sous l’égide de la médecine, puisqu’il affirme que « seul un examen médical préalable à l’engagement dans une démarche psychothérapeutique peut s’assurer du bien-fondé de son indication »[1]. Nous sommes bien là face à une tentative de mise au pas de la pratique des psychologues, qui seraient alors voués à être les simples exécutants de procédures rigides et codifiées à l’avance. Mais « comment penser la responsabilité personnelle si la parole est figée dans des protocoles qui évacuent la vérité propre à chacune et chacun ? »[2]. Ce rapport jette un véritable discrédit sur nos pratiques, fondé qu’il est sur « un désir de psychothérapies compatibles avec l’immixtion à grande échelle de l’administration sanitaire dans le choix des outils, méthodes et des circuits d’adressage »[3] utilisés au quotidien par les psychologues. Ce qui est à craindre est une éradication de la singularité subjective par souci d’objectivation. C’est dans ce cadre que les psychologues de l’association sont sortis de la discrétion pour lancer l’alerte : « en tant que psychologues freudiens, nous ne pouvons qu’être sensibles à cette dérive et relever, au-delà du mépris, la méprise dont les prestigieux auteurs de ce rapport semblent être les victimes »[4].

Cette méprise va loin puisque par des procédés réductionnistes la psychanalyse est rejetée, poussée de plus en plus violemment hors des universités et des agences de santé. L’Académie nationale de médecine dénie l’importance des concepts freudiens et la découverte par Freud de l’inconscient et de ses rejetons, alors même que « toutes les psychothérapies qui ont émergé et fleuri sont nées de cette découverte princeps (cure par la parole) et trouvent leurs racines dans le corpus freudien »[5]. La psychanalyse est rangée à côté de pratiques comme la méditation ou l’hypnose, accusée d’être « vantée par ses adeptes »[6], et en quelques lignes l’héritage laissé par les différents auteurs psychanalystes qui ont marqué l’histoire de la psychologie est rayé d’un trait. Les psychologues freudiens se sont alors emparés de ces questions, ont tenu à rappeler la nature ingouvernable de l’inconscient et à mettre en lumière les efforts de démonstration des psychanalystes quant à l’efficacité de leurs pratiques. Là où l’Académie nationale de Médecine tente d’imposer une pratique unique et hégémonique, nous réagissons et appelons à un retour à Freud et aux concepts fondamentaux. Au mot « dysfonctionnement », nous préférons le mot « symptôme », à celui « d’alliance thérapeutique », nous choisissons d’opposer le mot « transfert ». Penser qu’à chaque trouble peut correspondre une thérapie et qu’il suffit de supprimer le symptôme pour que le patient aille mieux est une erreur. Les concepts de condensation et de déplacement, décrits par Freud dans son ouvrage L’interprétation du rêve et celui de compulsion de répétition, décrit dans La technique psychanalytique puis dans Pulsions et destins des pulsions, nous invitent plutôt à tenter de comprendre la logique inconsciente sous-jacente aux énoncés du patient.

Dans leur brochure, les Psychologues freudiens nous rappellent également la position de Freud face à la médecine : « j’épouse clairement la cause de la valeur propre de la psychanalyse et de son indépendance par rapport à son application médicale »[7]. Le ton est décidé, nous ne négocierons pas l’autonomie de nos pratiques, ni notre liberté quant aux choix de nos méthodes et outils. La psychanalyse, en tant que cure par la parole est une pratique démocratique dans son essence. Elle repose sur le concept d’association libre qui tend à suspendre toute volonté de contrôle. « Nous entendons donc continuer à faire valoir la psychanalyse telle qu’elle oriente nos pratiques – comme non médicale, profane, tout en accentuant ses effets de formation »[8]. L’enjeu de la psychanalyse est de « créer un lien où la vérité du sujet se dépose, fragmentée, contradictoire »[9], faite de revers et de tourments, d’associations et de paradoxes. L’intervention du psychologue se situe justement aux confins du pouvoir médical, « sur cette limite où les ressources de celui ou celle qui souffre ne sont plus mobilisables autrement que dans un dialogue, une conversation singulière »[10]. Le discours analytique est un lien social particulier et les Psychologues freudiens en ont particulièrement bien précisé les contours. Toute attaque contre ce dispositif de mise en acte de la parole spécifique de l’expérience analytique est une attaque à la liberté de penser. C’est pourquoi les Psychologues freudiens appellent, avec la publication de cette brochure, à des conversations interdisciplinaires, au dialogue et à une prise en compte de la parole singulière de chacune et chacun sur sa souffrance. Contribuons à ce mouvement créateur de liens vivants en lisant et en diffusant leur travail.

[1] Brochure de l’Association des Psychologues Freudiens, « Psychologues, l’heure du choix – Analyse critique du rapport de l’Académie nationale de médecine du 18 janvier 2022, “Psychothérapies : une nécessaire organisation de l’offre” », septembre 2022, p. 10. [2] Ibid., p. 5. [3] Ibid., p. 18. [4] Ibid. [5] Ibid., p. 12. [6] « Rapport de l’Académie nationale de médecine du 18 janvier 2022 – Psychothérapies : une nécessaire organisation de l’offre », disponible sur internet, p. 3. [7] « Ma Vie et la psychanalyse », suivi de « Psychanalyse et médecine », p. 63, disponible sur internet. [8] Brochure de l’Association des Psychologues Freudiens, op. cit., p. 17. [9] Ibid., p. 5. [10] Ibid., p. 15.

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