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APPEL À CONTRIBUTIONS ! La colère des psychologues freudiens : NON au tout-neuro !




10 Mars 2021 : Avec l’ensemble du champs psy réuni en « Forum des psy », l’association des Psychologues freudiens se mobilise contre l’arrêté relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues. Le contenu de cet arrêté exclut de facto les nombreux psychologues qui se réfèrent à une causalité psychique des symptômes. Afin d’y voir clair sur ce qui menace de plus en plus leurs pratiques, rappelons ici ce que cet arrêté stipule :

Article 2 : « Les interventions et programmes des psychologues respectent les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la haute autorité de santé (HAS) propres à chaque trouble du neurodéveloppement, et s'appuient sur des programmes conformes à l'état actualisé des connaissances.

En référence au stade de développement de l'enfant, ces interventions structurées visent à mobiliser les compétences cognitives, comportementales et émotionnelles de l'enfant. Les approches recommandées tendent à soutenir le développement de l'enfant dans plusieurs domaines, en priorité ceux des interactions sociales, des émotions, des comportements adaptatifs, de la communication et du langage. Elles s'appuient sur des thérapies cognitivo-comportementales, de la remédiation neuropsychologique et cognitive et de la psychoéducation. Une liste non exhaustive de programmes se référant à ces approches est établie en annexe. Cette liste sera réactualisée périodiquement en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques, des recommandations et des outils ».

En réponse, les psychologues freudiens se mobilisent pour mener une réflexion sur l’idéologie du TOUT-NEURO qui menace dangereusement nos pratiques.

En effet, que sont ces « Troubles du NeuroDéveloppement » ? D’où vient ce syntagme ? Qui l’utilise aujourd’hui ? Entendons : qui s’en sert dans sa pratique ? Est-ce un diagnostic opératoire pour les psychologues ? Permet-il de se repérer dans la pratique ? De savoir à quel type de souffrance psychique le patient est aux prises ?

Absolument pas ! Il est même difficile de savoir ce que recouvre précisément ce syntagme.

Selon le site de l’Assurance maladie, un trouble neurodéveloppemental (TND) « peut se définir comme un trouble affectant le processus de développement cérébral, conduisant à des difficultés plus ou moins grandes dans une ou dans plusieurs des fonctions cérébrales ».

Il est préoccupant de voir la quantité de problématiques à causalité psychique se retrouver d’autorité incluses dans des troubles neurodéveloppementaux. Voyez plutôt.

Sont inclus dans les TND :

- les handicaps intellectuels (déficience intellectuelle légère, modérée ou sévère),

- les troubles de la communication (dysphasie…),

- le trouble du spectre de l’autisme (TSA),

- le trouble spécifique des apprentissages (dyslexie, dysgraphie, dysorthographie, dyscalculie… ou autres troubles dys),

- les troubles moteurs (trouble développemental de la coordination, mouvements stéréotypés, tics),

- le déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H).

Cette cohorte d’acronymes si nombreux que l’on s’y perd : TND, TDHA/H, TSA, etc., est le produit de l’idéologie scientiste qui grignote la société et le champ psy. Nous interrogeons la validité de ces pseudo-diagnostics, qui ne sont pas opératoires pour la majorité des psychologues cliniciens, particulièrement ceux qui font de la psychanalyse leur boussole. Nous dénonçons les dérives graves qu’ils entraînent, et que nous voulons éclairer.

Le livre d’Hervé Castanet, Neurologie versus psychanalyse, nous servira de boussole précieuse pour nous repérer dans la toile d’araignée signifiante dont l’ombre menace les psychologues, priés par la bureaucratie sanitaire de devenir de simples exécutants placés sous l’autorité de la médecine organique et sommés de réduire leurs fines et patientes observations cliniques en observations manichéennes de comportements.

L’idéologie neuroscientiste s’accommode très bien du silence des patients. Ne cherche-t-elle pas depuis longtemps à cantonner la fonction de l’écoute dans une profusion de techniques de bien-être (le fameux care) pour imposer dans nos pratiques une vision dogmatique de l’être humain réduit à un organe : son cerveau ?

Précisons que nous saluons bien évidemment les avancées de la neuro-imagerie lorsque celle-ci, en s’intéressant à l’organisme, sauve des vies. C’est lorsqu’elle cherche à appliquer les découvertes faites par les neurosciences à tout le psychisme humain qu’elle se fourvoie et devient mensongère – ou lorsqu’elle est utilisée par la gouvernance qu’elle devient enjeu de contrôle et de pouvoir.

Car le corps ne se réduit pas à l’organisme. La psychanalyse est née à partir de cette découverte : il y a des symptômes qui sont réels, et dont la cause n’est pourtant pas biologique, mais inconsciente. Le livre d’Hervé Castanet explicite très précisément ce point et nous propose de relire les « Propos sur la causalité psychique », dans lesquels Lacan, engageant un débat avec Henry Ey, lui rappelle que l’on ne trouvera dans l’organisme ni l’être de l’homme ni la causalité de la folie. Dans ce texte fondamental, Lacan souligne que la causalité de la folie est psychique, qu’elle s’origine du fait que nous sommes des êtres parlants et que le langage dénature tout rapport à la vie. La pensée est parasite, il y a des phénomènes qui échappent à l’entendement – tout ne peut pas être compris, contrôlé, anticipé – c’est la vérité de la folie, ce grain de folie que chacun porte en soi et qui ne se verra pourtant pas sur votre imagerie cérébrale.

Ce qui nous préoccupe, c’est que les pouvoirs publics, le ministère de la santé et de la prévention, valident, accréditent, la thèse neuro, au détriment de toutes les pratiques d’écoute et de parole qui sont pourtant indispensables et plébiscitées. Ce qui nous réveille, c’est l’écho donné par les médias à ces vérités prêtes-à-porter et le ghetto dans lequel pourraient se retrouver les psychologues qui s’orientent de la découverte freudienne.

Réduire la clinique, les symptômes, la souffrance humaine, à des « troubles », à une « biologie comportementale », a des conséquences préoccupantes qu’il nous revient de situer.

La newsletter des Psychologues freudiens se veut l’écho de vos réflexions sur ce thème, et nous vous appelons à y contribuer à partir de ces différents axes autour desquels nous vous proposons de nous écrire :

1 - Conséquences du tout-neuro en institutions

2 - Enjeux éthiques : le symptôme n’est pas un trouble

3 - Autoritarisme des protocoles de soin

4 - Dys en cascade : effets, inventions, subversion ?

1 - Conséquences du tout-neuro en institutions

Quelles conséquences voyez-vous, dans votre travail, à cette idéologie du tout-neuro ? Comment vous y prenez-vous pour tenter de maintenir une pratique clinique ?

La volonté politique de transformer les CMPP en Plateformes d’orientation et de coordination (PCO) est dangereuse pour les enfants ainsi que pour leur famille. On peut se demander si ceux qui nous gouvernent y auraient recours pour leurs proches ou pour eux-mêmes. Depuis leur création au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les CMPP accueillent, sans critères exclusifs, la parole de tous les enfants en souffrance ainsi que celle de leurs parents. Une fois que les CMPP auront été transformés en plateformes, et une fois que ces plateformes auront transmis leurs diagnostics, qui prendra en charge les patients ? Qui proposera un suivi au long court pour ces enfants ou jeunes adolescents ? Qui acceptera d’écouter la souffrance des enfants et de leurs parents ? Quel enfant aura encore confiance en la grande personne qui l’aura examiné et testé sans chercher à mettre en œuvre la parole dans une relation spécifique avec lui ?

À l’hôpital psychiatrique, les signifiants qui circulent et qui émanent de l’idéologie neuro sont : « réhabilitation psycho-sociale », « rééducation », « autonomie », etc. La psychiatrie se rend-elle compte qu’elle est en train de disparaître, mangée par le tout-neuro qui se moque d’elle ?

Et l’école ? L’éducation nationale s’engouffre dans l’idéologie neuro. Comment faites-vous, vous qui travaillez comme psychologues dans les établissements scolaires pour faire entendre une voix autre, celle de vos patients, qui ne se plaignent pas de leurs cerveaux, mais bien de paroles qui leur ont été dites – ou pas dites. Parvenez-vous à maintenir un espace de respiration pour les enfants ? Comment vous y prenez-vous ? Et dans le secteur du handicap, quels sont les signifiants qui menacent de bâillonner la parole des patients ?


2 - Enjeux éthiques : le symptôme n’est pas un trouble

Dans ces TDN, que trouve-t-on ? Des troubles, des troubles et encore des troubles à rééduquer – Disorder ! Cette conception de l’être humain en termes de déficit, d’anomalies, d’erreurs, est antinomique avec l’usage du concept de symptôme, opératoire dans la clinique et dans la pratique.

Les Psychologues freudiens ne conçoivent pas le symptôme comme un dysfonctionnement, mais bien comme un mode de fonctionnement, parfois bancal, souvent problématique, dont le sujet se plaint, mais qui pourtant l’aide à vivre. Avec son symptôme, l’être humain essaye de dire quelque chose qu’il n’arrive pas à dire avec des mots. Le psychologue freudien n’est dès lors pas une machine qui fournirait une réponse standard, valable pour tous. Il cherche l’interprétation la plus juste, celle qui ne vaut que pour ce patient-là, et qui se lit, entre les lignes du dit, à travers les symptômes, les lapsus, les rêves, les actes manqués du patient.

Ce qui est inadmissible, avec le terme de « trouble du neurodéveloppement », c’est qu’il fige votre être. Inscrire dans les neurones-mêmes de l’être humain les difficultés qu’il rencontre comporte une dimension prescriptive dont on ne mesure peut-être pas à quel point il risque d’impacter la construction psychique dès le plus jeune âge.

Rappelons que les auteurs de la brochure « Position psychanalytique contre le dogmatisme appliqué à l’autisme », avec lesquels nous avons partagé tout récemment une soirée particulièrement riche, ont démontré avec clarté la nécessité d’une perspective plurifactorielle et pluricausale en matière de prise en charge de l’autisme. Cela vaut, selon nous, pour tous les symptômes qu’avec Hervé Castanet nous refusons donc de résorber dans la catégorie des « anomalies » ou des « troubles ». À ce titre, la conception des troubles, fondée sur un modèle unique, le modèle neurobiologique, n’est donc pas éthique.

3 - Autoritarisme des protocoles de soin

Quelles sont les approches recommandées par l’arrêté du 10 mars 2021 ? Uniquement des approches qui relèvent de l’idéologie neuro :

- applied Behavior Analysis (ABA),

- groupes d’habiletés sociales et d’affirmation de soi,

- modèle d’intervention précoce : le modèle de DENVER pour jeunes enfants,

- outils de communication alternatifs augmentés (par échange d’images, signes, numériques),

- pivotal Response Treatment (PRT) : entraînement aux comportements pivots,

- prescool Autism Communicatio, Therapy (PACT),

- thérapie d’échange et de développement (TED),

- traitement et éducation pour enfant avec autisme ou troubles de la communication (TEACCH),

- thérapies cognitivo-comportementales (TCC),

- remédiation cognitive.

Les troubles du neurodéveloppement appellent… de la neuro-rééducation. Exit le psychique. Une « prise en charge adaptée » est donc recommandée, dont les maîtres-mots sont : « remédiation » et « rééducation », afin de rétablir un fonctionnement normal des compétences déficitaires. Nous y voilà – tout se tient – et ceci avait été préconisé par le rapport de l’Académie nationale de médecine du 18 janvier 2022 : à chaque « trouble », sa thérapie spécifique. Entendez, bien entendu : thérapie neuro-centrée, sinon rien ![1]

Et puisque cette thérapie est neuro-centrée, il sera tout naturel de vous proposer qu’un médecin, spécialisé dans l’un de ces troubles, supervise votre travail, voir vous prodigue ses conseils. La spécificité de ces troubles induit une spécificité de prise en charge « scientifique », ce qui exclut, du fait de la nature-même des processus d’évaluation, les pratiques de la parole, donc la psychanalyse, dont les critères d’évaluation ne satisfont pas les autorités.

4 - Les Dys en cascade

D’après le dictionnaire étymologique de la langue française Bloch et Wartburg, « Dys » est tiré du préfixe péjoratif grec « Dus », qui indique une anomalie de formation, un problème de fonctionnement, un mauvais état. D’après le dictionnaire de l’Académie française, ce préfixe à valeur péjorative exprime l'idée de manque, de mauvais état, et, finalement, une notion privative, indexant un caractère défectueux, mauvais, erroné. Ce préfixe sert à modifier le sens d’un grand nombre de mots, surtout en médecine. Le dictionnaire Littré met l’accent sur le fait que la chose est difficile, mauvaise. Il indexe un trouble, une malformation, un vice, une altération, une perturbation, une anomalie. Il indique un trop ou un pas assez au regard d’une norme, une inadaptation, une déformation, un déficit.

Les troubles Dys, dont le développement est exponentiel avec l’avancée du tout-neuro, sont des « troubles cognitifs qui traduisent un dysfonctionnement au sein des fonctions mentales ». Ils sont classés en quatre catégories :

- les troubles mnésiques et attentionnels (troubles déficitaires de l’attention, avec ou sans hyperactivité = TDA/H),

- les troubles du langage (dyslexie, dysorthographie, dysphasie),

- les troubles de la cognition mathématique (dyscalculie),

- les troubles des praxies (dyspraxies).

En parcourant la littérature sur le sujet, la plupart des auteurs s’accordent à dire que, puisque ces troubles sont « neuros », ils sont irréversibles. L’usage de la parole, de la lente et patiente mise en mots des coordonnées de l’histoire du sujet est facultative, puisque non résolvable par la parole et inéluctable. La notion de « trouble » est d’ailleurs différente du retard simple, dans la mesure où il est durable. Du point de vue du tout-neuro, elle est donc héréditaire, génétique et donc… inguérissable.

Par ailleurs, les notations angoissantes pour les patients ne manquent pas : « Les personnes porteuses de ces troubles “Dys” présentent de forts risques en termes de décrochage et d’échec scolaire ainsi que de difficultés d’insertion professionnelle et sociale ».

Pour les tenants du tout-neuro, le langage n’est qu’une fonction latéralisée du cerveau. Celle-ci peut donc être endommagée, et des processus de soins « adaptés » viseront à le réparer. Les incroyables possibilités créatives de la langue y apparaissent réduites à une anomalie, puisque tout acte de création littéraire et poétique se fait par transgression ou, au moins, rupture avec l’agencement habituel du langage. Mais il y plus grave : les incroyables possibilités… du cerveau lui-même, sa plasticité, sont mises au placard, et réservées à la recherche, tandis qu’on accueille nos enfants dans des dispositifs dits de soins qui résultent de schémas d’arrière-garde, du point de vue de la vraie science.

Pour conclure

Avec la mise en avant d’approches relevant exclusivement de la neurologie médicale, les politiques de soins s’orientent vers des « recommandations de bonnes pratiques » dogmatiques et idéologiques. Dans cette newsletter, les Psychologues freudiens tenteront de démontrer que ce diagnostic de « TND » est un colosse aux pieds d’argile, qui ne s’appuie sur aucun fondement clinique et scientifique solide.

Nous attendons vos précieuses contributions !



[1] Vous trouverez, en vente sur notre site internet, notre brochure intitulée : « Psychologues, l’heure du choix », analyse critique de ce rapport.


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