Associations libres autour de la notion de la responsabilité : neuro-sciences, bio-politique & psychanalyse- Partie 2
- assopsychologuesfr
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La promotion d’une conception neuro-essentialiste des troubles mentaux, des difficultés scolaires et des inégalités, comporte une doxa implicite : la pathologisation des différences sociales et des fragilités psychiques conçues comme des maladies chroniques, dues à un mauvais gène ou à une mutation génétique, voire à un dysfonctionnement cérébral ou à l’hypofonctionnement des neurotransmetteurs : « L’accent mis sur la responsabilité de chacun vis-à-vis des performances de son cerveau et de sa santé cérébrale vient renforcer une éthique néolibérale au détriment d’une éthique de la responsabilité. […] La santé physique et mentale devient [ainsi] une responsabilité et un devoir individuel plutôt qu’un droit »[1].
De cela découlent les signifiants qui, tels des mots d’ordre, circulent dans les institutions comme « autonomie, sens de responsabilité, attitude positive, maîtrise de soi » et diffusent leurs messages implicites, sous-tendant des pratiques promues massivement telles la « psychoéducation » ou la « réhabilitation psychosociale ».
D’où le paradoxe d’un discours qui renvoie à l’individu la responsabilité (qui rime avec culpabilité) de tout ce qui cloche en lui, car il n’a pas fait le nécessaire pour renforcer son cerveau[2], ainsi qu’à un certain déterminisme bio-social, qui laisse de côté le contexte psychologique et social et transforme une interrogation morale en un risque biologique : « En mettant l’accent sur l’individu et ses déficits cérébraux supposés expliquer ses difficultés, elles (les neurosciences) essentialisent les problèmes sociaux et poussent de côté les politiques de prévention sociale ». Un tel discours entraîne la passivité, le ressentiment et la déshumanisation des relations sociales. Il défait le lien social en attribuant à l’individu une sorte de toute-puissance d’agir, comme seul responsable de sa santé mentale et physique et le prive en même temps de toute possibilité d’action, puisque, dans tous les cas, tout est déjà écrit…dans les gènes.
Or, le discours psychanalytique tel qu’il ressort de la pratique, vient subvertir la notion de responsabilité. En psychanalyse, on parle de la responsabilité du sujet tel que déterminé par son univers langagier, d’où une responsabilité qui implique les autres et apaise la figure de l’Autre comme commanditaire de sa bonne conduite.
Celle de l’individu est différente. Le discours néolibéral soutenu par les découvertes des neurosciences est fonction d’un pouvoir exercé sur les corps – l’individu n’est ainsi que l’effet de ce pouvoir en tant que le pouvoir est une procédure d’individualisation[3]. Mettre en avant la responsabilité de l’individu – considéré comme un corps isolé – laisse chacun de nous seul face à un discours qui nous dicte un mode d’emploi à suivre et qui vaut pour tous.
A contrario, le sujet au cours d’un traitement analytique assume sa responsabilité en tant que sujet divisé : « de notre position de sujet nous sommes toujours responsables [4]», énonce Lacan. La subjectivation implique la relation singulière que chaque être parlant entretient à la fonction du langage [5]– dépendant de la mise en acte de l’inconscient (fait par tout ce qui rate : malentendus, actes manqués, lapsus, rêves, mots d’esprits) et témoignant de l’effet de la jouissance sur le corps par le biais du signifiant. Il s’agit alors d’assumer ce que la science exclut de son discours, notre altérité radicale, et « de rentrer en relation avec son inconscient, avec ce qu’il y a de plus propre […], [d’]aller au plus profond de soi-même dans une certaine solitude, pour fabriquer une nouvelle solitude, qui va constituer une base d’opération solide pour rencontrer les autres [6]»…
[1] Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral. Psychiatrie, éducations, inégalités, champ social, Nîmes, 2024. Les phrases en italique ou entre guillemets sont issus de ce livre.
[2] La fameuse hypothèse de la « plasticité cérébrale et neuronale », et du « cerveau comme un capital sous-exploité » ou encore de la bonne régulation des « substances de bonheur » - la noradrénaline, dopamine, sérotonine, qui seraient à l’origine de la dépression, du TDAH et de la schizophrénie.
[3] Cf. Foucault M., Le Pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France (1973-1974), coll. « Hautes études », Paris, Gallimard/Seuil, 2003.
[4] Lacan J., « La science et la vérité », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 858.
[5] Borie N., « Construction du sujet lacanien », https://www.hebdo-blog.fr/construction-du-sujet-lacanien/
[6] La Sagna P., « De l’isolement à la solitude », La Cause freudienne, n°66, 2007, p. 43-49. Et : https://shs.cairn.info/revue-la-cause-freudienne-2007-2-page-43?lang=fr
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