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Mathilde Pagnat

Ce sera mieux… ou pire

Mathilde Pagnat


« En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelque refus »[1]. Ainsi écrivait Albert Camus en 39, dans son texte censuré sur la liberté de la presse. À l’aube de MonPsy, la censure que nous voyions se profiler ces dernières années, s’infiltre. Tour à tour, elle revêt les signifiants d’un discours du maître, et le champ de la science médicale se dissémine sur la profession des psychologues. Le premier ministre nous l’assurait récemment à La Réunion, « les médecins se sont associés au dispositif MonPsy » [2], et enfin, pour le bien des citoyens, des consultations seront remboursées. Le médecin assigné à être prescripteur de la bonne technique dite thérapeutique fera alors sa lettre d’adressage. L’a-dressage ! À qui ? Quid du transfert et de ses effets ? Ce sont les échelles d’évaluation et la liste des inscrits qui dirigeront les médecins. Choisir son psy par le nom qu’il porte, le numéro de sa rue, ou parce qu’il a reçu tel ami… est une découverte hautement subjective à laquelle MonPsy ne laisse aucune place. Cette énigme intime à laquelle on se référait sans le savoir ne semble même plus pouvoir se questionner. Tu es ce que je dis que tu es ! La férocité de cette confusion moderne entre sciences médicales et sciences humaines, resserre les signifiants et la novlangue du monde hospitalier prolifère : dans un excellent article de Julien Vernaudon, médecin gériatre, le 19 avril 2022[3], nous pouvions lire ce qu’il en est de la logique managériale hospitalière inspirée du monde industriel, appelée Nouveau Management Public avec son économisation des soins. L’auteur dénonce la novlangue managériale hospitalière comme exerçant une « emprise sur les soignants [...] visant une gouvernementalité efficace [4]». Il désigne cela par le néologisme « langagement », signifiant « agir par le langage ». À l’ère du tout neuro et de ses « programmes d’intervention aux outils de communication augmentatifs »[5], faisant fi de la faille qui préside pour chacun entre demande et désir - comme nous l’indiquait Lacan en 1966[6] -, le langagement dont nous parle ce médecin, ne résonne-t-il pas avec ce que l’on veut nous faire croire comme un mieux ? Monpsy, produit du langagement que l’on pourrait dire populaire et qui vient à point nommé, comme en réponse à l’impossible auquel chacun a affaire, faisant miroiter une bienveillance gouvernementale pour la santé mentale. Nous sommes submergés par la multiplication des « variants » MonPsy, de son infiltration dans le domaine institutionnel. En tant que présidente d’un réseau de psychologues d’institutions[7], je reçois de nombreux témoignages de mes collègues. L’inquiétude est grandissante, car nous voyons se profiler d’autres agissements : cela concerne les maisons de santé ou centres de santé. Les psychologues salariés sont encouragés à signer des conventions « tripartites », la maison de santé bénéficiant alors du remboursement par la Sécurité sociale des fameuses huit séances. L’argent est au cœur de l’affaire, nous n’en doutions pas. Ce qui est autrement inquiétant est l’entreprise perverse de la tâche : ces professionnels se trouvent tenaillés et intimés de signer, car la pérennité de leur poste leur est avancée. Economisation, codages, normes, critères d’inclusion…, la place à la surprise n’est plus de mise et chacun de nous se trouve embarqué par la marée déferlante du psy pré-fabriqué par la novlangue. Alors, prenons une respiration dans ces temps d’égarement de notre profession. Un air de liberté ! La psychanalyse nous enseigne que l’usage de la parole est précieux et singulier, et qu’il revient à chacun de le préserver. Prenons parti pour la liberté de nos pratiques, soutenons nos collègues étouffés par la novlangue. Par notre désir décidé, opposons refus au langagement MonPsy, résistons au mieux empoisonné ! [1] Camus A., Le Soir Républicain, Alger, 25 novembre 1939. [2] https://www.facebook.com/974radiofreedom/videos/4967980359945762/ [3] Vernaudon J., LVSL, Le poison de la novlangue managériale dans l’hôpital public, 19 avril 2022. https://lvsl.fr/le-poison-de-la-novlangue-manageriale-dans-lhopital-public/#sdfootnote8sym [4] Vandevelde-Rougale A., La novlangue managériale. Emprise et résistance, Paris, Eres, 2017. [5] Arrêté du 10 mars 2021. [6] Lacan J., « Conférence et débat du Collège de Médecine à La Salpêtrière », Cahiers du Collège de Médecine, 1966. [7] Association RP63 - Réseau des Psychologues du Puy-de-Dôme - ayant rejoint les collectifs de La Convergences des Psychologues en Lutte.

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