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DataDock et Qualiopi sont dans un bateau

Véronique Pannetier


Cela fait un moment que nous subissons, dans les activités que nous déployons en tant que psychologues, le crin-crin entêtant de l’évaluation. Il vient s’insinuer dans chaque interstice disponible. Stupeur et tremblement quand ça nous tombe dessus !

Ainsi, la pratique de supervision d’équipe, comme espace de réflexion et d’élaboration d’une clinique au un par un, éclairée par la psychanalyse, est-elle concernée, parmi d’autres. Si l’on constate qu’on fait sortir la psychanalyse par la porte en favorisant la dimension « neuro » pour les recrutements de psychologues dans le domaine de la santé et du social, on peut tout de même remarquer qu’ici ou là, subsistent de petites poches de résistance qui se manifestent discrètement, notamment en préservant ce travail de supervision ou d’analyse des pratiques auquel les intervenants sont attachés.

Ils en témoignent souvent : c’est parfois le seul espace où la clinique, la dimension du détail inaperçu, le surgissement d’un inédit, sont examinés avec soin, pour que s’élabore une autre façon d’accueillir le sujet, plus délicate assurément, pas moins efficace pour autant. Au cours de ces séances, ils redécouvrent ce qui fait la dignité et la valeur irremplaçable de leur travail. J’interviens dans une institution depuis de nombreuses années auprès de trois équipes différentes, qui accueillent des sujets en très grande précarité symbolique. Soudain l’administration se réveille, s’ébroue et réclame – pour des raisons comptables et légales –le recours à des formateurs estampillés Qualiopi ou DataDock.

Comme on tient au travail que je propose, on me demande de me faire Qualiopifier... L’expérience consistant à chercher ce terme sur Google vous renvoie à une multitude de sites vous promettant d’assurer la corvée d’obtenir pour vous la certification, sur la base « d’un référentiel national de qualité ». À vrai dire la promesse s’avère un peu hardie… Le travail d’adaptation à la demande exorbitante du législateur pour faire entrer une pratique délicate et cousue d’imprévus, de surprises, et d’inédit, dans le cadre rigide d’un réseau de contraintes trahissant l’idéologie à l’œuvre et négligeant l’éthique, paraît hasardeuse… Mais pas impossible. Quand la psychanalyse a démontré sa pertinence, les acteurs institutionnels s’arrangent. On cherche, et on trouve, une façon de glisser un coin pour éviter qu’on ne lui ferme la porte au nez. La psychanalyse se fait de plus en plus discrète dans les institutions – offi-ciellement – mais elle ne disparaît pas. L’évaluation, l’idéologie sur laquelle elle repose, tentent de s’imposer en tout lieu, mais ce quadrillage est plus lâche qu’il n’y paraît et certains responsables, moins dupes qu’on ne pourrait le craindre, s’attachent à maintenir une autre approche, tout en se pliant aux semblants en cours. Cela réclame de la souplesse, un peu de docilité et une certaine patience pour que soit préservé le vif du sujet et certaines étincelles dans les regards des soignants au moment où ils saisissent soudain ce qui leur échappait, leur permettant ainsi de ménager une place à ce qui ne comptait pas…

Pourquoi tous ces efforts ? Parce que l’étincelle, c’est inévaluable : ça n’a pas de prix !

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