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L’influence de l’Evidence Based Medecine



Alain Revel
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« Quand les enfants vont mal comment les aider ? »[1], ainsi s’intitule le rapport du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Âge.

Sous ce titre percutant, le rapport prend acte d’un fait : à l’exception de maladies rares, les recherches concernant l’étiologie biologique des troubles mentaux n’ont mis en valeur ni « marqueur ni cause biologique génétique ou neurologique avérés pour les différents diagnostics psychiatriques »[2], « pourtant, l’idée d’une causalité organique des troubles mentaux demeure »[3], en l’absence de validation de cette hypothèse qui date des années 1990.

Cet « aller mal », qui concerne la vie psychique de nos enfants, nous invite à ne pas ignorer qu’ils peuvent ne pas aller bien. Cela semble une tautologie, alors que la question fondamentale est celle de savoir qui le dit, dans quelle langue, dans quel dispositif, et à qui ? C’est la question du diagnostic qui est posée in fine, plus encore que celle des remèdes, médicamenteux et autres.

Le rapport a concentré son enquête sur deux formes de manifestation des difficultés psychiques de l’enfant telles que notre modernité les a nommées : le TDAH et la dépression.

Pour le TDAH, dont l’extension est spectaculaire, « les études par imagerie cérébrale ne sont pas en mesure de déterminer une potentielle cause du TDAH. En effet il est impossible de démêler si les observations réalisées sont la cause ou la conséquence d’un type de développement spécifique aux sujets présentant des symptômes d’hyperactivité »[4].

De même les recherches d’une étiologie génétique ne permettent aucune conclusion.

Par ailleurs, le rôle de l’environnement est largement reconnu.

Quant à la dépression, le rapport se réfère à des travaux reconnus et publiés dans la revue Molecular psychiatry[5],où l’on peut lire que « l’énorme effort de recherche basé sur l’hypothèse de la sérotonine n’a pas produit de preuves convaincantes d’une base biochimique de la dépression ».

Là aussi, les chercheurs soulignent l’importance des facteurs psychosociaux dans la dépression ; cela conduit logiquement à « reconnaître la place centrale des questions relationnelles, psychoaffectives et environnementales dans la survenue des troubles mentaux »[6].

Tout cela nous renvoie à la pertinence des modèles venus de l’Evidence Based Medecine (EBM) concernant l’attention portée à l’enfant : comment savoir s’il va bien, s’il va mal, ou s’il est le siège de manifestations qui dérangent son entourage, familial ou scolaire ? Qui a besoin de quels soins ?

L’EBM, médecine fondée sur la preuve, corpus d’origine anglo-saxonne, consiste à ne tenir pour vraie une affirmation que si elle a été validée par la recherche clinique – entendez, la recherche pragmatique.

Il y a une hiérarchie des preuves dans laquelle le savoir qui prévaut, le seul savoir qui compte est celui des données mesurables.

Appliqué à la psychiatrie cela donne un paradigme médico-technologique. Les observations portant sur la subjectivité doivent être traduites en données mesurables. Le cas n’est plus qu’une anecdote négligeable.

C’est donc la place du cas, qui est mise à mal – forclose. De même, tout ce qui a trait à l’environnement ne peut entrer dans l’EBM.

De plus, cette médecine basée sur les preuves donne, en dehors de la clinique, une justification à des programmes de rationalisation de la gestion de l’organisation des soins, un « new management des institutions publiques sur la santé mentale des plus jeunes »[7].

À vouloir baser la « santé mentale » de l’enfant sur des preuves et une action contrôlée, on fait consister des modèles dont on oublie de vérifier en continu la pertinence, et l’on méprise la singularité, et la responsabilité de chaque être parlant.

[1]. Rapport HCFEA, Quand les enfants vont mal, comment les aider ?, disponible sur internet. [2]. Ibid., p. 81. [3]. Ibid., p. 82. [4]. Ibid., p 84. [5]. Moncrieff, J., Cooper, R.E., Stockmann, T. et al. The serotonin theory of depression: a systematic umbrella review of the evidence. Moecularl Psychiatry (2022). [6]. Rapport HCFEA, op.cit., p. 86. [7]. Ibid., p. 81.

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