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Anne Colombel-Plouzennec

MonPsy : les psychologues ont le choix !





Les psychologues et la sécurité sociale

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022[1], et du décret « relatif à la prise en charge des séances d'accompagnement réalisées par un psychologue »[2], l’arrêté du 2 mars 2022 fixait « la convention type entre l'Assurance maladie et les professionnels s'engageant dans le cadre du dispositif de prise en charge de séances d'accompagnement par un psychologue ». C’est ainsi que « MonPsy » vit le jour. Ce dispositif prévoyait le remboursement par la Sécurité sociale de 8 séances chez un psychologues, dans le cadre d’un adressage médical, et valorisées à hauteur de 30 euros par séance pour les praticiens.

 

C’était une première ! Pour la première fois, des séances chez un psychologue étaient remboursées par la Sécurité sociale. Pour la première fois, des psychologues conventionnaient avec ladite.

 

Or, quelle est l’étendue du domaine de la Sécurité sociale en matière de remboursement de consultations ? Elle rembourse « les honoraires des médecins et auxiliaires médicaux », parmi lesquels sont mentionnés les « infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, pédicures-podologues »[3]. La Sécurité sociale ne prend en charge que ce qui relève du domaine du soin (médical ou paramédical).

L’ouverture au remboursement des consultations psychologiques a donc inscrit de fait les psychologues ayant accepté le conventionnement proposé au rang des « professionnels de santé »[4].

Qu’est-ce que cela implique ? Simplement leur para-médicalisation de facto et sans concertation de la profession, para-médicalisation contre laquelle nous sommes vent debout depuis les premières tentatives de mise sous contrôle par l’État.

 

Comment cela, me direz-vous, si c’est pour le bien de tous, via le remboursement d’un certain nombre de séances ?

Les Psychologues freudiens l’expliquent pas à pas dans l’ouvrage Psychologues sur le qui-vive.

Relevons ici deux points :

-       D’abord sur la formation :

« La psychologie a trouvé sa place dans les “sciences humaines et sociales” [et non dans les facultés de médecine] afin d’inscrire ce point fondamental : l’homme n’est ni seulement un objet – fût-il complexe – affecté d’éventuels dys-fonctionnements, ni un mécanisme potentiellement soumis à des bugs. Il a une intériorité, une subjectivité, et, disons-le, un inconscient »[5] ;

-       et puis, malgré la confusion induite par le fait que certains psychologues travaillent dans le milieu médical (hospitalier par exemple), sur l’objet :

« Non, le psychologue […] n’est pas un intervenant “paramédical”. Ce point est crucial si l’on veut maintenir dans notre monde la possibilité d’un espace et d’un discours qui décolle l’humain de l’identification à son corps comme objet, objet de soins en particulier. Or, le corps vivant n'équivaut pas à l'organisme. La médecine d’aujourd’hui, dont l’évolution extraordinairement rapide est liée au progrès de la science et de la technologie, nous fascine par ses avancées fantastiques dans certains domaines, quand elle sauve des vies comme jamais et permet d’en assurer la qualité. Mais l’humain n’est pas réductible à son corps biologique, ni le psychisme à l’organe qu’est le cerveau »[6].

 

Voilà pour les principes.

Ajoutons que le conventionnement (dont on peut lire les contours sur le site de l’assurance maladie[7]) contraint ses signataires à intégrer les bases de données de la Sécurité sociale et en accepter les conditions. Or ces conditions sont évolutives.

Qu’est-ce qui le laisse penser ? Les psychologues sont en première ligne pour le savoir, eux dont la profession a subi depuis quelques années plusieurs assauts visant précisément cette para-médicalisation et au-delà, le formatage des pratiques des psychologues selon des partis-pris idéologiques mettant à mal la souveraineté inscrite dans leur code de déontologie (choix de la méthode, souveraineté d’appréciation concernant le nombre ou la durée des séances, …[8]).

Ainsi, si aujourd’hui les conditions sont les suivantes pour devenir « MonPsy » : justifier d’un « parcours consolidé en psychologie clinique ou en psychopathologie » et de « 3 ans minimum de pratique » (pour chaque psychologue souhaitant être conventionné, ces « critères de sélection » sont « analysé[s] par un comité d’experts »[9]), demain, cela pourrait être un circuit de formation spécifique ou des méthodes imposées[10]. Nous nous rappelons tous l’arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues.

 

Alors, certains psychologues ont effectivement signé une telle convention avec la Sécurité sociale, oui. Ils sont une minorité. Sur les 74195 psychologues recensés en France en 2023[11], seulement 3000[12] environ se sont inscrits dans ce dispositif, soit un total de 4%. Il serait précieux de savoir quel calcul a poussé nos collègues à cet acte, ce qu’a été leur expérience, quelles conclusions en tirer.

Reste que le boycott fut massif ; l’échec constaté.


C’est ainsi que, le 6 avril dernier, le Premier ministre, Gabriel Attal, décrétait ceci :

« Dès le mois de juin, on pourra aller directement voir le psychologue sans passer par un professionnel de santé avant. La séance sera valorisée à 50 € pour le psychologue, et on pourra avoir jusqu’à douze séances remboursées par an. » « Nous imposerons également aux [mutuelles] complémentaires de désormais prendre en charge ces séances de psychologues, et on ira plus loin sur la santé mentale en général »[13]. Gabriel Attal.

Ainsi déclarait-il :

1.     « l’état d’urgence sur la santé mentale de nos jeunes »,

2.     la révision complète du dispositif « mon soutien psy » dès le mois de juin, faisant passer le nombre de séances concernées de 8 à 12 séances par an, effaçant la dimension d’adressage par un médecin, et revalorisant les séances de 30 à 50 euros,

3.     l’obligation faite aux mutuelles de participer au dispositif.

Cette annonce pose de nombreuses questions concernant les mesures juridiques concrètes qu’implique le fonctionnement de notre démocratie.

 

Inscription dans le projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale

Une partie (laquelle ?) des consultations psychologiques est donc annoncée comme ayant vocation à être prise en charge par la Sécurité sociale (tandis que dans le dispositif précédent, c’est l’entièreté qui était financée à ce titre).

L’évolution du nombre de séances et du montant de remboursement des consultations psychologiques est-elle inscrite dans le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) – loi budgétaire annuelle ? Si tel n’était pas le cas, un nouveau texte serait requis.

Par ailleurs, un ou plusieurs décrets seront nécessaires pour modifier le cadre réglementaire dans lequel s’inscrit le dispositif existant, et des circulaires précisant aux administrations les nouvelles modalités pratiques d'application.

Or les recherches effectuées sur les différentes sources accessibles à tout citoyen[14] ne nous ont pas permis, sauf erreur de notre part, de nous documenter davantage.

La perspective que ces changements surviennent d’ici le mois de juin est peu probable, compte tenu des délais incompressibles pour faire voter un tel texte au Parlement. Devons-nous en déduire qu’il n’y aurait là qu’effet d’annonce ?

 

Un point sur les mutuelles

Gabriel Attal entend imposer aux mutuelles de « prendre en charge ces séances de psychologues ». Étonnant. En effet, sauf accord préalable relevant d’une négociation, le gouvernement, fut-ce par la voix de son Premier ministre, ne peut pas imposer aux mutuelles un changement unilatéral de fonctionnement, d’autant qu’actuellement, chacune rembourse à sa façon les consultations chez les psychologues (certaines ne remboursent pas – elles sont de moins en moins nombreuses –, certaines remboursent un forfait annuel, certaines remboursent un nombre de séances… certaines d’ailleurs, semblant totalement méconnaître le code de déontologie des psychologues, voudraient exiger une durée de séance par exemple).

Y a-t-il des négociations à l’œuvre avec ces entreprises ? Le cas échéant, quelles sont-elles ? Et à défaut, le projet est-il réalisable ?

 

Pour conclure

Nous ne pouvons faire l’économie de ce rappel : ces annonces de décisions se font dans une époque où l’on assiste à la mort du service public, de soin notamment. Permettez-moi cette ironie : la baisse constante des moyens alloués au soin public paraît proportionnelle aux effets d’annonce quant à une « grande cause nationale » pour la santé mentale.

Ainsi, au moment où il accélère le mouvement de libéralisation de la santé – et de la santé mentale en particulier – en France, l’État favorise les consultations en libéral. Ceci implique :

-     Pour le patient, d’y mettre de sa poche, puisque la mesure implique le contraire de ce qu’elle annonce : non pas le remboursement des soins, déjà à l’œuvre dans le service public, mais son déremboursement, puisqu’après les 12 séances prises en charges, le patient devra payer ses séances. Or les psychologues savent bien que la majorité des suivis nécessitent d’aller au-delà de 12 séances.

Ajoutons qu’avancer un prix de séance induit chez les patients l’idée que ce montant est standard, tandis que chaque psychologue aujourd’hui adapte le prix de la séance aux moyens financiers de chacun.

Surtout, tout cela semble accélérer encore la mort annoncée des services publics de soin (CMP, CMPP, CMPEA, etc.), dans lesquels les patients peuvent être reçus sans avance de frais et avec prise en charge par la Sécurité sociale, autant que nécessaire, la plupart du temps à hauteur d’une fois par semaine, soit environ 45 séances par an, et ce pendant plusieurs années si nécessaire.

-     Pour le praticien – dont on a déjà vu au fil des dernières années, que l’État le souhaite plutôt sous contrôle que libre de sa pratique et responsable de ses décisions – l’entrée dans le giron de la Sécurité sociale constitue un biais de contrôle évident, sous couvert du « bien pour tous ».

 

Ainsi, l’État vide d’une main les budgets du service public, et oriente de l’autre la population vers une profession dès lors… à contrôler.

C’est ignorer la dimension résolument subversive des psychologues !

Alors, si comme nous l’avons vu, les enjeux sont lisibles, les annonces récentes sont floues. Et ce flou nous incite à la vigilance. C’est pourquoi les Psychologues freudiens, qui continuent leur boycott de MonPsy, MonParcoursPsy, MonSoutienPsy, mettent en place dès à présent une veille aussi précise que possible concernant les dispositions à venir. Restons informés !



[1] Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022, notamment l’article 79.

[2] Décret n° 2022-195 du 17 février 2022.

[3] Site de l’assurance maladie, page « Tableaux récapitulatifs des taux de remboursement », disponible sur internet.

[4] Ibidem.

[5] Albert S., Colombel-Plouzennec A., Georges-Lambrichs N., Psychologues sur le qui-vive, Champ social, mai 2024, p. 20.

[6] Ibid., p. 24.

[7] Site de l’assurance maladie, page « Remboursement de séances chez le psychologue : dispositif Mon soutien psy », disponible sur internet.

[8] Code de déontologie des psychologues, disponible sur internet.

[9] Site de l’assurance maladie, page « Remboursement de séances chez le psychologue : dispositif Mon soutien psy », op. cit.

[10] Cf. Albert S., Colombel-Plouzennec A., Georges-Lambrichs N., Psychologues sur le qui-vive, Champ social, mai 2024.

[11] Insee, « Professions de santé. Données annuelles 2023 », disponible sur internet.

[12] France info, « “Mon soutien psy” : la nouvelle formule du dispositif sera lancée au mois de juin », disponible sur internet.

[13] Ouest France, « “Mon soutien psy” : Gabriel Attal annonce la refonte du dispositif, qui “n’a pas fonctionné” », disponible sur internet.

[14] Sites du Sénat : https://www.senat.fr ; de l’Assemblée nationale : https://www.assemblee-nationale.fr ; du Journal officiel de la République française : https://www.journal-officiel.gouv.fr/pages/accueil/ ; du Ministère de la Santé : https://sante.gouv.fr ; de l’ARS : https://www.ars.sante.fr/

 

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