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Profession : psychologue



Corinne Perrot
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La profession de psychologue est la seule profession réglementée, gérée par le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation[1].

Elle divise ainsi le monde savant, entre ceux qui veulent une définition globale du métier et ceux qui souhaitent une partition de différents statuts en fonction du domaine d’exercice.

Le débat contemporain concernant la pratique de la psychologie clinique et de la psychothérapie prolonge une controverse qui date des années 1950. Alors qu’il existe déjà des « psychotechniciennes[2] », qualifiées pour faire passer des tests psychométriques et que la première licence de psychologie date de 1947[3], la discussion se déplace dans le prétoire d’un tribunal entre 1950 et 1952, lors du procès de Margaret Clark-Williams[4] : première psychologue exerçant la psychanalyse installée à Paris, elle est accusée d’exercice illégal de la médecine.

Au procès, les prises de positions quant à la formation, au champ d’intervention et à l’indépendance des psychologues sont loin de faire l’unanimité parmi les médecins et les psychiatres eux-mêmes, certains voulant que les psychologues travaillent sous leur contrôle, d’autres militant pour leur indépendance dans le domaine de la psychothérapie[5]. Le Conseil National de l’Ordre de Médecins, qui s’est constitué partie civile et a fait appel de l’acquittement prononcé en première instance – obtenant une condamnation à… 100 Francs d’amende[6] –, lui, n’a jamais varié.

Soulignons qu’aujourd’hui, une des plus violentes attaques contre notre profession de psychologue émane de l’Académie de médecine. Dans son rapport intitulé « Psychothérapies : une nécessaire réorganisation de l’offre[7] », cette autorité se fait un devoir de dissiper la confusion supposée régner quant aux formations et aux compétences des psychologues. À grands maux, grands remèdes : il suffira de placer le psychologue sous le contrôle des médecins pour que tout devienne clair : pour résorber l’ensemble des psychologues dans la catégorie des psychotechniciennes de jadis ?

Or, contrairement à ce que l’on pourrait penser intuitivement, cette supposée confusion n’a rien d’un hasard : c’est parce que la psychologie est une profession qui requiert une certaine souplesse qu’elle s’est développée dans de nombreux domaines.

Qu’une profession qui se réclame des sciences humaines puisse être exercée dans le milieu médical n’est qu’un faux paradoxe. En vérité, il est de bonne logique que l’hôpital et les établissements médico-sociaux aient eu besoin de plus en plus de psychologues cliniciens. Certes, il y a la pénurie de psychiatres ; il y a aussi le fait qu’un psychologue « coûte moins cher » qu’un médecin ; mais ce n’est pas le tout de l’affaire : la psychologie clinique est une pratique qui met en jeu les fonctions de la parole de manière spécifique. Elle s’exerce à l’interface entre l’organisme et le langage, et donc, elle ne peut en aucune façon ni nulle part s’émanciper de l’un de ces éléments : il y a nécessité à la fois de la présence des corps et de la « parole libre » des sujets. C’est le psychologue qui s’offre à ce que le sujet ou le patient trouve sa manière de les nouer ensemble.

Ce n’est pas pour rien que cette liberté est inscrite au fronton de nos institutions républicaines, car l’une n’est pas sans l’autre : le principe conditionne et légitime une pratique originale, qui a pour premier corrélat la responsabilité subjective, fondement d’un lien social inédit. Ainsi, l’organisme sans le corps, c’est la médecine scientifique appliquée au vivant ; on la dit souvent « inhumaine » ; la parole sans le corps, c’est le blabla impuissant qui s’exténue, sans commencement ni fin. La psychologie clinique fait donc la dignité du sujet, tel qu’il est réfractaire à sa dissolution dans une masse ou une population. Le fait de vouloir cantonner les psychologues à appliquer des méthodes qui relèvent d’une technique et évacuent la parole vise en réalité à éradiquer leur domaine d’exercice… ou pire, à le dénaturer.

Au cœur de cette tension, qui augmente avec le « progrès » scientifique, le psychologue clinicien s’impose comme une profession-symptôme[8], garante de la qualité et même de la dignité du retraitement de ses effets à l’échelle de l’individu, voué, sans lui, à se résorber dans la foule anonyme.

[1]Source : « Qu’est-ce que les professions réglementées ? », disponible sur internet : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/psychologue-une-profession-reglementee-en-france-46456#item1

[2] Bulletin de psychologie, 1949. Source https://www.persee.fr/doc/bupsy_0242-5432_1949_num_3_1_4330

[5] Samacher R., « Enseignements, statuts et débouchés de la psychologie en 1956-1957 » Bulletin de psychologie 2009/2, P143-148

[6] On notera que si M. Clark-Williams exerçait en qualité de psychanalyste et non de psychologue, ce ne fut pas un argument décisif, puisque l’Académie de médecine reprend la position du Conseil de l’ordre en voulant assujettir aux médecins des psychologues dont la formation est authentifiée par l’Université depuis la loin de 1985.

[7] Source : https://www.academie-medecine.fr/psychotherapies-une-necessaire-organisation-de-loffre/ L’association des psychologues freudiens en livre une lecture critique dans une brochure, sous presse.

[8] Jean-François Cottes, président d’Interco-Psycho, l’a nommée ainsi au moment des Forums des psys contemporains de l’amendement Accoyer. Disponible sur internet : https://www.dvpsite.jones-and-co.com/cifpr/texte_document/une-politique-du-desir/

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