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À propos du corps




N. Georges Lambrichs
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Le signifiant « corps » doit être qualifié : le corps est-il vivant ou non ? Inanimé ou animé ? Dans le champ freudien nous le manions en tant qu’il est solidaire de la parole : parlé, parlant : parlé ménage la part des autres, parlant celle du sujet ou de l’être qui l’habite et compose avec lui. Comment ? C’est la question ; la question de l’être telle que le fameux To be or not to be la fait retentir dans sa parfaite équivoque : s’agit-il d’être ou ne pas être celui dont le nom est Hamlet ou bien le corps dont ce nom est l’estampille ?

 

Marcel Cohen, un compagnon

Pour Marcel Cohen que nous avons reçu il y a dix ans pour accompagner la préparation du IXè congrès de l’AMP, « Un Réel pour le XXIème siècle », notre biographie ne nous représente plus depuis le XXème siècle. Tout ce que les éditeurs promeuvent au titre de romans ou fictions manque l’essentiel de notre nouvelle humaine condition, marquée comme au carbone 14 par les crimes de masse qui y objectent. N’est-ce pas, d’ailleurs, ce que Freud, par son acte de détruire ses archives personnelles avant d’écrire « Ma vie et la psychanalyse » nous a fait entendre ? Et Lacan, dont la « vie » a attendu pour être rédigée l’avant-dernier cours de Jacques-Alain Miller (année 2010) et sa réduction en quelques feuillets parus dans la revue La Cause du désir. 

L’œuvre de Marcel Cohen est composée de faits de toutes sortes. Trois volumes sont parus, intitulés Faits, 1, 2 et 3. Un quatrième volume de faits plus intimes a ensuite vu le jour, dans la collection que dirigeait chez Gallimard un psychanalyste amoureux de la littérature.

Allant là où les mots le mènent, les yeux grands ouverts et le corps en mouvement, se déplaçant autour du globe de mur en mur, de vagues ou de lamentations, Marcel Cohen s’est voué et se voue toujours à rendre ces faits lisibles, dans l'ordre et la mesure que son lecteur voudra leur concéder, et tient à citer ses sources. Par « la littéralité absolue », il vise ce réel obscur « qui nous crève les yeux ». C'est le prix qu'il paye pour être de son époque, donnant au livre sa matière de silence et la gamme étendue de son incomparable saveur. Le lire, c’est s’exposer à apercevoir le courage que savoir lire implique. C’est une leçon pour nous.

Tout récemment il a donné à lire les portraits des cinq femmes dont la rencontre lui a permis de franchir cinq pas décisifs.

 

Faits

Le fait est. To be or not to be… a fact ? C’est la question qui se pose quotidiennement au praticien qui donne à la parole émise dans son cabinet son cours imprévisible. Comment témoigner de ce qui, là, a lieu, a eu lieu, sans trahir ni ravaler l’expérience ?

En présence, il y a deux corps : l’un est celui de qui accueille l’autre qui vient à lui. Sauf accidents de la vie, ces corps sont traversés par le regard et la voix, objets d’élection pour qui parle ou se tait, objets en fonction sitôt le seuil du cabinet de consultation franchi. Deux corps ? Pas sans le corpus langagier, tel que la demande d’un premier rendez-vous l’a déjà mis en branle. Car il y a, plus ou moins assumée ou ignorée, à l’orée de toute démarche, ce que nous appelons une demande, soit une modalité de la parole qui excède le besoin et bride si elle ne le nie ou l’inhibe, le désir.

De ces incontournables, le psychologue praticien ne sait qu’une chose : ils existent. Rien de ce qui sera extrait de l’expérience n’en sera détachable. La rencontre ou le non-lieu en découleront.

C’est pourquoi il est nécessaire au clinicien de faire l’inventaire des instruments qu’il va, lui, mettre en fonction pour que l’expérience de la mise en acte de l’inconscient puisse avoir lieu.

En effet, il doit sans tarder procéder à « la palpation psychique » de celle ou celui qui vient à lui.

Cette palpation s’exerce sur des joints : le fameux « joint du sentiment de la vie » a été nommé par Lacan, pourquoi ? Ce joint a été altéré par les expériences collectives dont parle Marcel Cohen et dont Sebald témoigne aussi dans son livre paru il y a 25 ans, De la destruction comme élément de l’histoire naturelle. Tel est en effet le ressort fondamental de toute demande : parler à quelqu’un, quelqu’un qui soit au fait de ce qui va avoir lieu dans ce lieu : des paroles, adressées par l’un à l’Autre de son fantasme, qui n’existe pas plus que tout ce que sa parole va charrier de mots, sinon que ces mots, eux, vont, seuls, exister dans ce lieu, vectorisé par l’amour de transfert. Il manque, pour assurer ce joint, des mots chargés d’affects et de vérités, circulant dans la parole comme les globules dans le sang. Les entretiens, une cure sont remède à cette anémie, que les charniers de corps indistincts massacrés ont produite.

Ce primordial amour n’est rien d’autre que l’instrument apte à prendre ce corps vivant dans des rets tolérables et supportables sinon aimables, afin que son propriétaire puisse pactiser avec lui, et, si les hasards le veulent, avec un autre ou quelques autres.

Ce lien analytique, d’un genre nouveau, est l’épure d’un lien social capable de faire avec l’héritage des théâtres mondiaux de la cruauté. L’écrivain qui prend la plume des mains de ceux qui l’ont précédé dans la littérature universelle en a sans doute une certaine appréhension.

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