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Bulles de vie






La clinique des soins palliatifs est une clinique du vivant. Même dans ce moment particulier de l’existence − maladie grave et incurable, derniers instants − la vie palpite jusqu’à la dernière seconde. Jusqu’au mourir, il y a VIVRE. « Jusqu’au dernier instant, même quand la mort est inévitable, la vie ne se laisse pas complètement confisquer[1] ».


La vie jusqu’au dernier souffle

Vivre ! Quel verbe particulier. Qu’est-ce que cela veut dire que de vivre ? Il y a bien la définition du dictionnaire mais, pour autant, il n’existe pas de définition universelle, qui mettrait tout le monde d’accord. Le sentiment de la vie[2] se décide très tôt et appartient à chacun, au plus intime de sa subjectivité. Se sentir vivant est, d’une part, loin d’être une évidence et d’autre part, loin d’être un état permanent, durable, et ceci de manière trans-structurale. Ce sentiment dépend d’un nouage délicat et singulier entre désir, corps et lalangue. Pour Jacques-Alain Miller, « le nom de la vie c’est la jouissance[3] ». Une certaine puissance, la pulsion de vie, accroche à la vie, qui se vit, qui jouit.

La bande-dessinée A la vie[4] de l’Homme étoilé, dessinateur belge et infirmier en soins palliatifs le démontre. Xavier dessine et traite un sujet grave dont le commun des mortels, au XXIe siècle, ne veut rien savoir. Nombreux sont ceux pour qui, soins palliatifs équivaut à la mort. L’auteur nous invite, au contraire, à découvrir et envisager l’accompagnement à travers des moments de joie, d’échange, où musique, rire, blague, trouvent leur place, rendant sensible à quel point la vie s’invite même quand des circonstances de vie changent. Pas de mélodrame.


Le pari des soins palliatifs

Il y a sûrement différentes manières de vivre l’accompagnement en soins palliatifs. Celle de l’Homme étoilé est de soutenir ce qui anime chaque patient dans le service hospitalier où il exerce. Une grande part du travail consiste à ne pas alimenter la jouissance mortifère mais plutôt, à suivre et attraper le vivant dès qu’il se présente.

Quel effet cet accompagnement peut-il produire ? Cela peut permettre à certains patients de ne pas traverser cette étape de vie seul, de laisser advenir des choses inédites, de chercher des faits de langue, des petits détails, de retracer un parcours de vie, de témoigner de points précis avant de partir… Ou encore, de dire l’angoisse du destin funeste, l’angoisse de laisser leurs proches derrière eux, de témoigner du sentiment qu’il restait tant à faire, à vivre. Nombreux sont ceux qui évoquent la banalité du quotidien : pouvoir amener les enfants à l’école, conduire, faire les courses, passer l’éponge sur la table après le repas… Toutes ces petites tâches parfois chronophages voire pénibles, routinières, qui peuvent manquer à certains qui éprouvent des difficultés à les accomplir encore. L’être humain enseigne alors que bien souvent, il s’adapte au mal, à la souffrance et au pire.

Le clinicien peut, avec chaque patient, lire ce qui arrive et repérer l’impact du réel. Le psychologue écoute, entend, accuse réception de banalités et/ou de points d’horreur ; ponctue, souligne, coupe, quand les dires sont du côté du vivant. Il accueille aussi parfois sans mot dire, sans changer de sujet. Cette écoute singulière soutient le vivant de ces rencontres éphémères car, régulièrement, quelques entretiens seulement ont lieu. Il n’est pas rare, selon le lieu d’exercice, que le patient soit hospitalisé ou décède.

Est-ce là le pari de travailler dans de tels services ? Ne pas se laisser fasciner par ce que montrent les corps mais entendre, seulement entendre ce que les personnes ont à dire. Nous nous devons, au domicile et dans les services hospitaliers, de suivre, pas à pas, les fils du vivant, aussi minces soient-ils parfois. La souffrance et la mort de l’autre ne nous appartiennent pas. Par contre, comment allons-nous entendre, lire et interpréter l’autre, sans vouloir son bien ? Cela nous appartient. C’est notre responsabilité de psychologues freudiens.



[1] Horvilleur D., Vivre avec nos morts, Grasset, 2021, p. 19.

[2] Cf. Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.

[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. 1234 », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, leçon du 24 avril 1985, inédit.

[4] L’Homme étoilé, A la vie, broché, 2020.





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