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Valérie Bussières

De conseiller à ordonner. Études comparative des propositions de loi pour la création d’un ordre national des psychologues (2021 et 2024)





L’étude comparative de la Proposition de Loi sur la création d’un ordre national des psychologues du 2 mai 2024[1] et de celle du 7 avril 2021 est très enseignante. Si la PPL n°4055 de 2021[2] présentée par des députés républicains n’a pas été soumise au débat législatif (changement de législature en 2022[3]), celle de 2024 portant le numéro 2587, a été proposée par des députés membres du parti Renaissance.

 

Les motifs de ces propositions de lois

En 2021, le contexte de post Covid était aux premières loges, mais aussi la question de la formation qualifiée d’« inégale » et celle de la dénomination des différentes professions psy indiquée comme « floue » en référence au code APE « activité de santé humaines non classée ».

En 2024, les motifs sont différents et clairement exposés. C’est la diversité qui est pointée et considérée comme problématique. Si le propos est centré sur la fonction publique qui possède différents statuts particuliers, l’exigence est « une réglementation de portée générale ». La diversité des approches semble compromise avec par ce motif de « régler la pratique des psychologues ». L’intention est donc triple : « structurer la profession », « offrir l’assurance d’une compétence adaptée aux besoins » et « accompagner les psychologues dans leur posture professionnelle ».

 

Les moyens mis en place

En 2021, les moyens mis en place pour répondre à ce contexte particulier et aux conclusions du rapports IGAS de 2019 sur la « Prise en charge coordonnée des troubles psychiques »[4] étaient de constituer « un conseil de l’ordre » pour « obtenir une cohérence des actions », de permettre un échange entre les professionnels et les pouvoirs publics et d’affilier l’ordres des psychologues à ceux des professionnels de santé. Ainsi « la fonction première attendue d’un ordre est d’être un rouage et un outil essentiel de la mise en œuvre d’une politique d’État dans un secteur spécifique »[5].

En 2021, c’était un article unique portant sur la création d’un ordre national des psychologues ajouté au titre VII du code de la santé publique. Le ministre de tutelle de cet ordre aurait été celui de la santé alors que c’est le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation qui gère la profession réglementée de psychologue.

En 2024, avec étonnement nous lisons dans la PPL du mois de mai que c’est le premier ministre qui serait aux commandes de cet ordre (article 2, point 3). Ajoutons qu’il est prévu que l’organisation de l’élection du premier bureau du conseil national de l’ordre des psychologues soit à la charge des services du Premier ministre et des préfectures départementales (article 7, point 1). S’entend la dimension exécutive dans ce projet de loi.

 

Quelles sont les conséquences directes de la création d’un ordre des psychologues ?

La première conséquence soulevée est le caractère obligatoire d’inscription à l’ordre des psychologues.

En 2021, la lecture du texte laissait entendre que le caractère obligatoire d’inscription à l’ordre des psychologues est une conséquence[6] (point 26) : il se déduisait de l’obtention du titre.

En 2024, il est premier selon la formule employée dans le texte « Peuvent seules exercer la profession de psychologue […] les personnes autorisées à faire usage du titre professionnel […] et régulièrement inscrites au tableau de l’ordre » (article 1, point 2).

 

La seconde conséquence est la rédaction du code de déontologie.

En 2021, c’est le conseil de l’ordre qui devait le préparer et le proposer (point 28).

En 2024, c’est le conseil de l’ordre qui le décide et a la responsabilité de ses mises à jour (article 4,  point 2).

 

Et la troisième conséquence est la dimension de la sanction.

En 2021, cette dimension est présente mais peu détaillée et surtout, il est précisé que le conseil de l’ordre doit respecter […] les garanties fondamentales de procédure et les droits de la défense ». (article 68).

En 2024, ce sont « des chambres disciplinaire » qui sont créées et peuvent imposer des mesures telles que la supervision. Les sanctions vont jusqu’à la radiation (article 6, point 5). Si le projet de loi prévoit une commission de conciliation en cas de litige, il devient possible de saisir une chambre disciplinaire avec un magistrat en cas d’appel (article 6, point 4).

Ainsi s’épinglent deux gestes différents : conseiller [7] en 2021 et ordonner en 2024. L’un suit l’autre. L’évolution de la volonté gouvernementale s’écrit entre ses deux propositions de Loi.

 

Liberté d’exercer ?

Le dernier point qui confirme ce durcissement concerne l’exercice de la profession. L’extraction de ce point en dit long sur la mutation de l’intention législative.

En 2021, existait encore une certaine liberté d’exercer[8] (point 30 et point 89), puisque sont mentionnées « différentes modalités d’exercice de la psychologie ».

En 2024, l’exercice professionnel du psychologue est cerné. En effet, ses activités sont stipulées et listées : « L’exercice de la profession de psychologue comprend les activités d’évaluation, d’analyse, de diagnostic et d’expertise, de même que les activités de prévention, de conseil, d’orientation, de soutien, de psychothérapie, de réhabilitation, ainsi que les activités de formation, de supervision, d’enseignement et de recherche relatives à son domaine de compétence », activités qui pour la plupart concernent la formation cognitivo-comportementaliste.

En trois ans, on passe du pluriel au singulier, de la diversité à l’unicité, en somme d’un exercice encadré à un exercice dicté par un ordre. Quid donc de la liberté d’exercer alors que la volonté gouvernementale est de pousser les soins dans le secteur libéral ?



[3] indiquée par l’association Acopsy, https://acopsy.fr/texte-legislatif-ordre-des-psychologues

[4] Le lien est énoncé d’emblée dans la proposition de loi et fait référence à : Emmanuelli J. & Schechter F., « Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution », rapport de l’IGAS, octobre 2019, disponible sur internet.

[5] Schneider B., « Un ordre pour les psychologues ? » Journal des psychologues n°390, 2021

[6] « Il est institué un ordre national des psychologues groupant obligatoirement tous les psychologues habilités à exercer leur profession en France », point 26 de la proposition de Loi n°4055.

[7] Par exemple dans la PPL de 2021 : « La section « exercice professionnel […] donne des avis, des conseils ou des informations d’ordre juridique et déontologique »

[8] « Il étudie les questions ou projets qui lui sont soumis par le ministre chargé de la santé, concernant l’exercice de la profession. Pour ce faire, il peut consulter les associations professionnelles, les syndicats, les associations d’étudiants en psychologie et toute association agréée d’usagers du système de santé » point 30 et « La section Exercice professionnel qui a pour champ d’étude l’évolution des modalités d’exercice des psychologues en référence aux divers changements législatifs et à la naturelle évolution de la société. Elle donne des avis, des conseils ou des informations d’ordre juridique et déontologique aux autres conseils et aux psychologues » point 89.

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