
À propos de Psychologues sur le qui-vive
Psychologues sur le qui-vive est un petit volume détonnant publié dans la collection Tag, dirigée par Sébastien Ponnou, rattachée au Centre de Ressources “Psychanalyse et société” des éditions Champ social[1]. Sous la direction de Solenne Albert, Anne Colombel-Plouzennec, Nathalie Georges-Lambrichs et l’Association des Psychologues freudiens, l’ouvrage permet immédiatement au lecteur de se saisir des enjeux actuels de la profession, et de bénéficier d’un point de vue extrêmement bien construit et stimulant. Fruit d’une élaboration engagée depuis la création de l’association en 2003, en réponse à la menace que faisait porter l’amendement Accoyer sur la profession, l’ouvrage condense les récentes prises de position de l’association. Il s’agit de s’opposer aux attaques faites ces dernières années – arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l’expertise spécifique des psychologues, rapport de l’Académie nationale de médecine du 18 janvier 2022, rapport de l’IGAS 2019. Ces attaques visent particulièrement une pratique clinique orientée par la singularité du cas, par la liberté de choisir celui à qui l’on s’adresse, et par un usage de la parole qui n’ait pas pour visée la normalisation des conduites.
Présentant dans une première partie de manière très détaillée et instructive les enjeux législatifs et les risques associés à la normalisation et à l’uniformisation de la profession, l’ouvrage ouvre, dans une seconde partie, à une analyse plus spécifique de l’idéologie qui sous-tend cette dérive et qui est celle du « tout-neuro » (à ne pas confondre avec la neurologie, comme le précisent à juste titre les auteurs). Cette marche de l’histoire, dans laquelle interviennent avec beaucoup de vitalité les Psychologues freudiens, rappelle le succès que fut la mobilisation en réponse à l’amendement Accoyer et le forum « Arrêtons l'arrêté » du 27 mai 2021, qui avait réuni plus de 10.000 personnes. L’ouvrage nous alerte maintenant sur le risque de voir se constituer un ordre des psychologues, dont les louanges sont chantées par les tenants d’un autoritarisme à peine voilé en matière de « santé mentale », inféodé au réductionnisme biologisant.
L’ouvrage ne remet pas en question le fait que l’État soit garant de l’accès à la santé de la population, mais il souligne que cela ne doit pas se faire dans des conditions qui méconnaissent la qualité et la nécessité des pratiques cliniques orientées par la psychanalyse. Il souligne que les choix politiques récents et actuels vont dans le sens de la privatisation du système de soin et de la destruction programmée du service public (en particulier en psychiatrie). Les auteurs rappellent ainsi à juste titre qu’« il n’y a pas de coïncidence naturelle entre la volonté du maître et l’intérêt des sujets » (p. 12). Ce principe d’une absence de correspondance absolue entre le psychique et le social, entre le groupe et l’individu, entre des pensées, volontés ou désirs chez un même sujet, et, sur un autre plan, entre les différents courants en psychologie, s’avère particulièrement difficile à admettre pour les tenants de l’uniformisation des pratiques. L’exercice d’un pouvoir autoritaire dans le domaine du soin psychique ne fera qu’accentuer le malaise dans la civilisation et encore davantage le malaise de celles et ceux qui ne pourront trouver leur compte dans cette tyrannie bienveillante.
Pour la conception de la formation des psychologues, l’université fait aussi face à ce type d’idéologie et de posture, qui se veut inféoder la psychologie au modèle des sciences biomédicales, en l’arrachant aux lettres et aux sciences humaines et sociales, et en attaquant le principe fondamental de la liberté académique et celui de collégialité.
À cet égard, les auteurs rappellent que le combat pour le maintien de pratiques de soins éthiques au sens de Freud et de Lacan ne concerne pas que les psychologues, mais également le domaine de l’éducation, et plus largement pourrions-nous ajouter l’ensemble de la société démocratique. Restons donc « sur le qui-vive », comme l’a si formidablement formulé le titre de cet opus, dans son double sens : à la fois nous maintenir sur nos gardes, prêt à parer à une attaque, mais aussi en sommant de faire reconnaître ce que nous combattons et qui nous sommes. Pari réussi donc ! En réponse à la sidération, au défaitisme ou au repli qui peut guetter face à la conjonction des forces de Thanatos[2], cet ouvrage qui s’adresse aux praticiens, aux étudiants en psychologie, et au-delà, est une lecture aussi instructive que mobilisatrice.
[1] Albert S., Colombel-Plouzennec A., Georges-Lambrichs N., Psychologues sur le qui-vive, Nîmes, Champ social, 2024.
[2] Freud S., Malaise dans la civilisation, Paris, Points, 2010.
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