Écho 5 de la conversation
- Noémie Guerpillon
- il y a 3 jours
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Depuis plusieurs décennies, les neurosciences occupent une place centrale dans la compréhension du fonctionnement cérébral. Elles ont permis des avancées considérables dans des domaines comme les maladies neurodégénératives ou certains cancers. Pourtant, lorsqu’il s’agit des troubles psychiques, le constat est beaucoup plus nuancé. En effet, François Gonon[1] indique que ces approches restent largement décevantes : absence de biomarqueurs, efficacité limitée des traitements et par conséquent, incertitude persistante de l’origine neurobiologique des troubles.
Les neurosciences appliquées à la psychiatrie s’efforcent de traiter les troubles mentaux comme des maladies du cerveau. François Gonon[2] donne l’exemple du cancer ou de la maladie de Parkinson pour lesquels cette approche est pertinente puisqu’il existe des lésions objectivables : la destruction des neurones dopaminergiques dans la maladie de Parkinson par exemple. Mais lorsqu’il s’agit du TDAH ou de la dépression, aucune preuve biologique n’est venue confirmer l’hypothèse d’un déficit neurochimique. Les diagnostics reposent encore uniquement sur le récit du patient, ce qui souligne l’impossibilité de dissocier le biologique du subjectif. Pourtant, la recherche persiste dans cette voie, cherchant inlassablement une « aiguille dans une botte de foin », comme le note François Gonon, donnant l’illusion que l’explication biologique viendra forcément.
Ce choix traduit une réduction du sujet parlant à un simple individu biologique. Cependant, comme le dit Lacan, le sujet - son corps - n’est pas l’organisme, mais l’effet du langage. Il analyse la spécificité du « discours de la science » qui produit un savoir qui se veut universel, mesurable, objectivable. Mais ce savoir a pour prix la forclusion du sujet, son éviction. L’individu scientifique n’est pas le sujet divisé de l’inconscient, il est dépouillé de son rapport au désir et à la jouissance. C’est ce que l’on observe dans les discours sur les troubles neuro-développementaux.
Comme le questionne Eric Zuliani, affirmer qu’un enfant portera à vie une déficience cérébrale, un handicap, revient à nier toute possibilité de subjectivation. On ne parle plus d’un sujet en devenir, traversé par son histoire, ses rencontres, ses symptômes singuliers, mais d’un individu condamné à incarner une déficience biologique. Ce déterminisme, que F. Gonon qualifie de pessimiste, illustre la logique neuro-essentialiste. Or, le sujet, par essence, échappe à l’universel : il est toujours singulier, marqué par son mode de jouir et par l’Autre du langage.
En d’autres termes, là où la psychanalyse accueille la singularité du sujet dans son rapport au langage et au corps vivant, le « tout neuro » ferme la porte en postulant un individu fixé une fois pour toutes.
Là où la science s’attache à l’individu mesurable, la psychanalyse accueille le parlêtre (sujet de l’inconscient). Elle n’objective pas des symptômes : elle les considère comme des formations de l’inconscient, des réponses inventées par le sujet pour se positionner et se soutenir face au réel.
C’est là que se joue l’enjeu clinique : redonner une place au sujet, c’est ouvrir une voie qui échappe à la « condamnation biologique » et au « pessimisme », comme le souligne François Gonon. Là où le discours neuro affirme que certains troubles sont « à vie », la psychanalyse propose, un espace pour que le sujet invente, bricole un autre rapport à ce qu’il vit, éprouve.
Les neurosciences, en cherchant à objectiver les troubles mentaux, réduisent la complexité psychique à un fonctionnement cérébral. Mais leur discours, en se centrant sur l’individu biologique, forclôt la dimension subjective et inconsciente du parlêtre, que la psychanalyse met en avant.
L’avenir de la clinique en « santé mentale » ne saurait donc consister à choisir entre neurosciences et psychanalyse, mais à reconnaître que la science, en tant que discours, ne fait pas de place au sujet. C’est ce dernier qu’il s’agit d’entendre, en prenant en considération ses symptômes comme des ébauches de solutions, des tentatives de guérison, qui le font souffrir. C’est à partir de cela que l’on peut viser un apaisement du sujet via une modification de sa position subjective. Comme l’écrit Charlotte Herfray, « [l]e discours [de la psychanalyse] présente un handicap de taille : les “preuves” nécessaires à la reconnaissance de son exactitude ne sont pas disponibles comme dans les sciences du comportement basées sur l'observation. Elles ne sont disponibles que pour celui qui a rencontré l'épreuve clinique (dans sa chair quelquefois) et découvert, à son corps défendant, les effets de la parole chez les humains. [3] »
[1] Cf. Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral. Psychiatrie, éducations, inégalités, Champ Social, Nîmes, 2024.
[2] Neurosciences et santé mentale : l’envers du décor, Soirée webinaire organisée par les Psychologues freudiens le 30 septembre 2025. Conversation interdisciplinaire avec François Gonon et Éric Zuliani.
[3] Herfray C. La psychanalyse hors les murs, éditions l'Harmattan, 2006, p. 35.