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Écho 3 de la conversation : Neurosciences et santé mentale, l’envers du décor


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La soirée avec François Gonon[1] a été l’occasion de rencontrer un homme averti des choses de la parole, et pour qui le scientifique ne doit pas oublier que derrière l’objet de ses recherches il reste un sujet, et un sujet animé d’une certaine éthique, celle de ne pas réduire, boucher, empêcher voire évacuer les espaces où la parole peut se déployer.

Pour ce faire il s’est appuyé sur plusieurs éléments solides, orienté me semble-t-il par les conséquences de l’acte de parole. Je n’en relèverai que quelques points.

D’abord la contradiction interne au discours neuro. Neuro-essentialiste, il prône l’autonomie ; pourtant, il stigmatise ce qu’il nomme « troubles » et indexe du terme de handicap ; plus encore, l’expression « en situation de handicap » s’accompagne d’un discours qui dit que c’est comme ça, c’est le cerveau, et il n’y a rien à faire. On peut aider, accompagner pour récupérer un peu d’autonomie, mais handicap il y a, handicap il y aura, et l’aide c’est pour toute la vie.

Il indique aussi très bien comment le tour de passe-passe de ce discours fait taire et met hors-jeu le relationnel, alors qu’il n’y a pas de marqueurs, donc pas de possibilités d’études avec constitution de groupes homogènes, pas d’axe précis de recherche. L’on dit que le TDAH est dû à un déficit en dopamine, or la dopamine on sait la doser, on le fait avec la maladie de Parkinson, eh bien dans le TDAH, on a beau mesurer on ne trouve rien !

F. Gonon met en perspective ce discours qui se veut scientifique avec les recherches sur le cancer des ovaires. Là, il y a des points d’appui solides, dans le corps, des recherches avec retour d’expérience, mais les chercheurs constatent que ces appuis se vaporisent dans le champ dit de la « santé mentale ».

Alors, croire que la maladie mentale est lié à un trouble biologique relève d’une pétition de principe, et il cite plusieurs fois le propos de Stanislas Dehaene, neuroscientifique, chantre de ce discours, qui, poussé dans ses retranchements, finit par concéder « qu’il y a loin de la synapse à l’éducation ».

F. Gonon explique aussi très bien qu’il faut distinguer l’observateur de la chose observée, mais que concernant le cerveau, l’observation se fait sur notre intériorité. Notre société pousse au naturalisme, ce qui aurait comme conséquence ultime « se regarder le cerveau », comme on dirait regarder son nombril, pensant qu’il est le centre de tout !

Citant des études sur les troubles de l’attention, il remarque que là où l’on note des résultats positifs, les parents sont associés à la recherche et reconnus comme acteurs, même quand cette reconnaissance est liée au fait d’être payés. Le relationnel là encore fait preuve.

Tout cela c’est du concret ; pourtant le discours neuro n’en a cure, car « il est prescriptif ». Autrement dit, il assène des vérités, qui fonctionnent comme des impératifs – autant d’atteintes à la liberté. Tout le monde souhaite pour les enfants l’autonomie et qu’ils soient responsables « mais pour éduquer à cela, il faut d’abord laisser l’autre libre », a-t-il dit.

Pour lui, on est pris sous la conséquence du signifiant qu’on utilise. Si l’on parle de troubles neurodéveloppementaux, on ne parle pas de troubles psycho-développementaux – terme au demeurant tout à fait acceptable précise-t-il. Il y a là un franchissement, une violation des lois de la parole et donc de celui à qui elle s’adresse, ce que nous nommerions l’Autre dans notre disance psychanalytique ; car l’adresse, c’est la communauté scientifique et, au-delà, ce sont les publications et les publicités visant le public et une certaine idée de la civilisation.

F. Gonon, averti de la psychanalyse sait que la cause gît dans la faille constitutive de l’être parlant. La volonté du discours neuro, en évacuant la parole est aussi d’évacuer toute cause autre que bio et donc de passer par-dessus les zones de flous, les impasses, l’impossible, c’est-à-dire là où les pourquoi échoueront toujours et où les mots défaillent à contenir la jouissance, cette part de nous-même, étrangère et intime qui résiste à toute civilisation, à toute mise au pas.

Laissons à F. Gonon le mot de la fin :

« Il y a rejet de la science qui par définition devrait douter toujours de ses affirmations, et quand les scientifiques ne doutent pas, on est en plein dans le discours idéologique ».

Soit ce qui peut mener au pire… (jetez un œil de l’autre côté de l’Atlantique).




[1] Neurosciences et santé mentale : l’envers du décor, Soirée webinaire organisée par les Psychologues freudiens le 30 septembre 2025. Conversation interdisciplinaire avec François Gonon et Éric Zuliani.




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