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Soigner ou ne pas soigner avec ou sans soignant ?Les impasses de la clinique scientifique


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« Un jeune sur quatre en France souffrirait de dépression », c’est ce qui ressort d’une enquête publiée dans Le Monde le 2 septembre 2025. Ce constat très inquiétant mérite cependant d’être nuancé et affiné quand on apprend que cette étude a été uniquement menée à partir de questionnaires en ligne. Loin de chercher à minimiser la souffrance des jeunes, il apparaît essentiel de ne pas confondre ce qui serait « l’expression d’un mal-être avec une pathologie, dont le diagnostic est délicat et basé sur un entretien clinique » – c’est ce que nous pouvons lire dans une tribune publiée à la suite par un collectif de psychiatres. L’article s’annonçait prometteur puisqu’il défend l’importance de la clinique psychiatrique, ce à quoi les PF sont sensibles, pourtant à lire l’article, Michel Grollier fait apparaître le malentendu sur l’usage de ce qu’on nomme la clinique. 




Dans une tribune parue dans Le Monde du 25/09/25 [1] des psychiatres s’élèvent contre l’usage des auto-questionnaires. Réagissant à la parution d’une étude mettant en avant une explosion de la dépression chez les jeunes, ils entendent ne pas confondre dépistage et diagnostic. Or, le discours que nous rencontrons est problématique. La clinique, inventée par les médecins, est en effet l’art de particulariser le recueil des signes pathologique auprès d’un patient qui en manifeste les effets à sa façon. Cette simple hypothèse de la particularité des manifestations nécessite d’avoir un cadre auquel se référer. En psychiatrie les diagnostics ne sont pas validés par des thérapeutiques. Au mieux la pharmacopée a permis d’apaiser les troubles permettant une meilleure rencontre avec le patient. De même les protocoles visent aussi à pacifier autant que possible le rapport du patient au monde. Sans résultats garantie à 100 %. Les classifications diagnostiques ont surtout réparti les manifestations, en grandes pathologies au début du vingtième siècle (paranoïa, schizophrénie, etc.) puis en regroupements de manifestations comportementales (les troubles) à l’orée du vingtième siècle dans le but d’affiner les cibles des traitements. Au point que le nouveau programme de construction d’une classification « scientifique » le RDoc[2], le programme du 21ème siècle, lui se propose d’enfin établir un classement sur des causes organiques pour rentrer dans une dimension médicale scientifique. Mais nous en sommes loin, et aux vues des difficultés, ce projet est plus qu’ambitieux (la recherche de l’homoncule dans le Système Nerveux Central se présente déjà comme un pari difficile !).

N’est-ce pas paradoxal de critiquer les propositions anticipées de la science, à travers les questionnaires, tout en revendiquant une clinique qui serait elle-même purement dans la science et ses preuves ? Lesdits cliniciens se réfèreraient à la clinique psychiatrique classique ? A lire l’article, il ne semble pas ! Les cliniciens évoqués doivent se référer aux preuves scientifiques de chaque trouble, ce qui, dans le contexte contemporain n’est pas gagné, à moins de considérer le consensus d’expert comme une preuve scientifique. C’est vrai que la science se nourrit d’hypothèses, mais c’est pour vérifier leur efficacité, leur capacité à se révéler vraies jusqu’à la rencontre de la limite de cette vérité. La médecine organique a fait d’immenses progrès par la science, sans renoncer à la clinique. La psychiatrie qui n'avait que sa clinique rêve d’une science de la psyché qui la mettrait sur le même plan. Mais renoncer à la clinique classique reste potentiellement sa plus grande erreur. Pourquoi vouloir changer la clinique par la science avant que la science n’apporte le moindre élément ? L’ouvrage de François Gonon[3] sur une question proche apporte sa réponse : pour des questions politique et potentiellement économique.

Enfin tout ceci pour que la tribune conclut, qu’après cette évaluation clinique et le diagnostic qui en ressort, pourra se mettre en place … un suivi psychologique ! Voici le schéma moderne, des médecins experts de la clinique scientifique, qui trient ceux que les épreuves ont dépistés, pour les orienter vers le suivi psychologique nécessaire, auprès de professionnels formés pour ça.

Voilà pourquoi je ne me suis pas tant réjoui que ça de cette tribune pour une clinique psychiatrique du diagnostic. A vouloir rester dans la médecine il ne faut pas renoncer aux soins, à défaut de guérison. Et chez les humains, le soin psychique n’est pas une simple technique que l’on peut déléguer.





[1] Tribune collectif de psychiatres du 25/09/2025, « On confond parfois l’expression d’un mal-être chez les jeunes avec la dépression ».

[2] « Research domain criteria », lancé en 2009 aux États-Unis par le National institute of mental health (NIMH). Le projet RDoC, dévolu à la recherche, s’oppose au « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (DSM) en mettant l’accent sur les dimensions du fonctionnement normal du cerveau, au croisement des recherches génétiques, des neurosciences cognitives et des sciences comportementales.

[3] Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral ? Psychiatrie, éducation, inégalités, Champ social éditions, coll Sciences et société, Paris, 2025.




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