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De la présentation de malades à la présentation clinique...




Emmanuelle Chaminand Edelstein
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C’est au Val de Grâce, en 1997, que j’ai eu la chance d’assister aux présentations de malades du professeur Guy Briole, portées à l’époque par l’Université de Nanterre. Deux ans plus tard, durant l’année de DESS, j’assisterai à celle de Jacques-Alain Miller, ayant pu faire mon stage dans ce service de psychiatrie.

Ce fut pour moi dans ces années-là, la rencontre avec le discours analytique, in vivo, quand les cours à l’université diffusaient un savoir conceptuel sans beaucoup de substance. Intellectuellement, nous pouvions parfois être rassasiés, mais la plupart du temps, nous étions gavés d’une terminologie freudienne que je ne saisirai que bien plus tard grâce à Lacan. Aux présentations de malades, pas de gavage, je sortais, avec mille questions, celles que j’aurais aimé poser au patient, celles que j’aurais aimé poser à l’analyste de la présentation de malade et celles qui me taraudaient, que je n’aurais osé jamais posé… et qui trouveront quelques bribes de réponses sur le divan.

Les étudiants en psychologie aujourd’hui, n’ont pas tous cette chance d’assister à des présentations de malades. Les chanceux restent ceux des départements de psychanalyse dans les universités où la psychanalyse lacanienne continue d’opérer. Les effets d’enseignement d’une présentation de malades sont indéniables : pour l’assistance – étudiants et soignants – c’est toujours une aubaine. Le pari est fait, et il est souvent tenu, que le patient entendu ce jour-là peut faire de ce moment un point d’arrimage dans son trajet de soin.

La terminologie a changé – de présentation de malade à présentation ou conversation clinique – sans doute pour amoindrir la question de la maladie et peut-être pour rompre avec une référence par trop médicale. L’esprit reste celui d’une salle mise à disposition par une institution psychiatrique ou pédopsychiatrique préparée à cette occasion à recevoir le patient, l’analyste et une petite assemblée de soignants et d’étudiants, un lieu donc. Un moment aussi. Déterminé à l’avance qui nécessite d’en parler en amont au patient à qui l’on pense pour le temps de conversation à venir. Je travaille dans un service de pédopsychiatrie où nous sommes nombreux à être psychologues du Champ freudien. Une présentation pour enfants est là depuis longtemps dans un hôpital de jour de ce secteur. Et une autre a démarré il y a deux ans dans l’internat thérapeutique pour adolescents dans lequel je travaille. Le plaisir est grand d’avoir pu favoriser les conditions de mise en route de ce temps dans ce lieu. Je retrouve l’effervescence de ces matinées au Val et s’ajoute celle d’en parler aux adolescents suivis à l’internat, de les « préparer » à quelque chose dont on ne sait pas ce que ça va être. Tous, depuis deux ans, ont accepté la proposition de venir parler à un analyste qu’ils ne reverraient pas. À l’heure des protocoles de soin, la présentation est un instant hors compétence de la santé mentale. Une rencontre, un entretien unique durant lequel ils peuvent tenter de faire entendre, de dire ce qu’ils sont en train de traverser.

Les discussions animées qui suivent ont des effets aussi, sur les soignants de l’adolescent, qui n’avaient jamais entendu l’adolescent parler ainsi. Les réserves du début sur le fait que l’adolescent serait « exposé » au regard des autres, que cela peut être mal vécu, etc., ont été dépassées car il est clairement signifié au jeune qu’il peut dire non avant et jusqu’à la dernière minute, qu’il peut partir en cours de route s’il se sent mal. Force est de constater que cela ne s’est pas produit. De savoir que l’on peut s’échapper permet parfois de ne pas le faire ! Effets bien sûr sur les étudiants qui attrapent pour eux des bouts de savoir sur la structure, les diagnostics, qui amènent à penser le singulier de chaque cas à l’aune d’un savoir universitaire.

Le dossier « Examen critique de la présentation clinique au Val-de-Grâce », paru dans le dernier numéro de La Cause du désir[1], est passionnant au titre de questionner la possibilité de recherche à partir des décennies de présentations de malade de Lacan, et d’autres après lui. Si la question de l’enseignement est indubitable, celle de savoir si la présentation peut être « une occasion de recherche[2] » n’est pas certaine. Il me semble que ce que les collègues de Paris 8, ont mis en place avec la présentation clinique de l’internat pour adolescents, est intéressant sur ce point. En effet, après trois présentations avec un patient, deux étudiants occupent la scène durant la séance qui suit pour proposer de petits exposés sur le cas qui les aura questionnés. Au rendez-vous, un point théorique, un resserrage du cas parfois, une visée de transmission et d’élaboration après-coup.

Quelles que soient les formes prises par la présentation clinique des institutions, l’intérêt de les maintenir, d’en proposer de nouvelles, apparaît bien une nécessité sur fond de contingence, celle de la rencontre de désirs décidés entre praticiens d’une institution et professeurs d’université orientés par la psychanalyse lacanienne.

[1] Cf. « Examen critique de la présentation clinique au Val-de-Grâce », La Cause du désir, Fantasme, n°114, Paris, Navarin éditeur, juin 2023, p. 129-141. [2] Leguil F., « Giaometti à Picasso : “Arrête de trouver, chercheˮ », La Cause du désir, op. cit., p. 131.

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