Psychologues, l’heure du choix propose une analyse critique du rapport de l’Académie nationale de médecine du 18 janvier 2022, intitulée « Psychothérapies : une nécessaire organisation de l’offre ». Fruit d’une lecture à plusieurs de ce rapport, cette analyse nous alerte quant aux conséquences possibles de ce texte car, comme nous le savons, « les rapports de la prestigieuse Académie nationale de médecine sont pris en considération par le gouvernement, qui s’en inspire pour concevoir projets de lois, décrets et arrêtés »[1].
L’objectif de ce rapport s’annonce d’emblée dans le titre comme un fait : une organisation de l’offre des psychothérapies s’impose, celle-ci étant, selon les auteurs de ce texte, « trop peu lisible ». La méfiance à l’égard de toutes pratiques de parole se lit dès les premières lignes, les psychologues et leur formation étant particulièrement visés : « Le cadre de formation des psychologues est hétérogène et peu lisible pour les autorités sanitaires », « Le titre de psychologue clinicien est employé sans cadre établi » ! L’article 44 de la loi 84-772 du 25 juillet 1985 qui réglemente l’usage professionnel du titre de psychologue, le réservant « aux titulaires d’un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie préparant à la vie professionnelle… » n’est pas davantage cité que les nombreux enseignements théoriques, que suit le psychologue, durant cinq années d’études, tout en se professionnalisant par les stages, l’analyse des pratiques, le tutorat…, ni les Écoles, fédérations, et autres associations qui accueillent les psychologues et leur offrent des colloques, des présentations cliniques, etc. Derrière cette méconnaissance apparente, on peut, avec François Leguil, craindre que « cette nullité argumentaire » ne dissimule autre chose, à savoir un nouveau projet administratif, contraignant, ravivant le tristement célèbre amendement du député J.-M. Accoyer qui entendait déjà en 2003 « encadrer les professions dites “psy” en soumettant leurs praticiens à une évaluation largement dominée par les psychiatres »[2]. Àl’époque, Jacques-Alain Miller avait pris position quant à cet amendement, dans Libération notamment, en évoquant la question de l’évaluation et des évaluateurs. S’en était suivi un échange, ô combien prémonitoire, sur ce thème avec Jean-Claude Milner, publié depuis, dans lequel l’évaluation est présentée comme « un phénomène essentiel des temps qui courent »[3]. Quand l’Académie préconise « un engagement des pouvoirs publics à travers l’Agence Nationale de la Recherche et les organismes ayant charges de financements pour susciter et soutenir des programmes de recherche permettant d’évaluer chaque type de psychothérapie et d’en préciser mieux les indications » et « la prise en compte de l’opportunité d’une évaluation médicale précédant la prescription d’une psychothérapie », on saisit que la question de l’évaluation est au cœur de ce rapport. Il me semble cependant qu’un pas de plus est franchi aujourd’hui avec l’apparition de la thèse « neuro » qui tend à réduire l’être humain à son cerveau. Hervé Castanet en a fait un livre, récemment paru sous le titre Neurologie versus psychanalyse, je le cite : « logeant toute causalité dans le cerveau, cette thèse réduit l’être parlant au silence d’un organe »[4]. L’annexe 1 du rapport de l’Académie nationale de médecine intitulée « Modifications cérébrales et Psychothérapies » l’illustre, avec la sériation des « troubles » (troubles obsessionnels compulsifs, phobies, état de stress post-traumatique…) corrélés à l’état du cerveau « en situation de prétraitement », puis la liste des modifications cérébrales survenant lors de psychothérapies pour en déduire leur efficacité. L’évaluateur a enfin trouvé son objet pour évaluer les troubles psychiques : le cerveau. L’évaluation de l’efficacité d’une psychothérapie se réduit ici à l’état du cerveau. Plus besoin de parler, l’image du cerveau est détenteur d’une vérité absolue sur le sujet ! Face à cette thèse neurobiologique, qui tend à s’imposer à tout ce qui constitue l’expérience humaine, il est urgent de réagir. Hervé Castanet nous ouvre une voie pour ce combat « à l’endroit de cette idéologie, notre opuscule livre un combat épistémologique, concept contre concept »[5], où il s’agira de montrer que « le biologique n’est pas le réel […mais] une fiction qui vise à nous faire taire »[6].
[1] Albert S., Psychologues, l’heure du choix, septembre 2022, p. 8. [2] Miller J.-A. et Milner J.-C., Voulez-vous être évalué ?, Paris, Grasset, 2004. [3] Ibid., p.13. [4] Castanet H., Neurologie versus psychanalyse, Navarin, 2022. [5] Ibid., quatrième de couverture. [6] Castanet H., Intervention lors des 52è Journées de l’ECF, « Je suis ce que je dis- Dénis contemporains de l’inconscient », 20 novembre 2022.
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