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Partie 3 : « Codifier les interventions des psychologues dans le parcours de soin » ? La réponse est non

Dernière mise à jour : il y a 1 jour






Sébastien Ponnou*, membre des Psychologues freudiens (PF) et professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, rappelle les fondamentaux de la pratique des psychologues. Il répond ainsi point par point aux vues longuement déployées par Monsieur le Professeur Franck Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie au ministère de la solidarité et de la santé, dans un entretien au magazine hebdomadaire L’Express.

Pour permettre au lecteur de saisir la complexité des enjeux actuels concernant l’exercice de la profession de psychologue, les PF publieront en quatre fois l’état des lieux que fait notre collègue, le commentaire continu et les perspectives alternatives qu’il propose au dispositif Mon soutien psy.


  

Cet état des lieux laisse pour le moins songeur lorsque M. F. Bellivier évoque la formation des psychologues. Car la priorité du délégué ministériel est claire : « préciser les compétences dont les patients ont besoin et […] identifier les psychologues en mesure de les remplir »[1] . Et plus loin : « codifier les interventions des psychologues dans les parcours de soin ». Le propos est effarant, car il implique :


  • Que pour un même titre, certains psychologues ne disposeraient pas des compétences requises.

  • Qu’il serait possible et souhaitable de codifier les parcours de soin en psychiatrie.

  • Que cette fonction incomberait à des instances extérieures à la psychologie et aux psychologues : le délégué ministériel à la santé mentale, le ministère de la santé, etc.


Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les écueils déjà manifestes dans le dispositif Mon Soutien Psy grèvent le discours de M. F. Bellivier concernant la formation des psychologues : le premier concerne son mépris des institutions représentatives de la formation et de la profession : or, la psychologie est une discipline sui generis qui relève des sciences humaines et sociales et dispose de ses propres instances professionnelles, syndicales, universitaires. La formation des psychologues n’est pas inféodée à la médecine mais relève de la compétence des Unités de Formation et de Recherche (UFR) de psychologie et du Conseil National des Universités (CNU) de psychologie (16°section), à qui il incombe de penser et garantir la formation et la recherche en psychologie — dans la diversité des théories, des pratiques et des orientations qui composent cette discipline. M. F. Bellivier estime « [qu’] aujourd’hui, le cursus de psychologie se termine par un stage de cinq cents heures, mais il n’est pas très encadré […]. Les maître de stage ne sont pas agréés, tout se fait de manière informelle, sans objectifs pédagogiques précis ». Cette assertion est-elle documentée ? Sur quelles bases et selon quels critères de comparaison ? Cet état des lieux a-t-il était transmis au CNU et aux UFR concernés, pour quelles réponses et quels effets ? Il semble plutôt que le délégué ministériel déballe en vrac ses représentations sur une fonction et une formation qu’il méconnaît très largement. D’autant que la formation de psychologue ne s’arrête pas à un cursus et à l’obtention d’un titre universitaire, mais qu’il s’accompagne souvent d’un long processus de formation dans des Écoles ou des Associations spécialisées, reconnues d’utilité publique et certifiées par les organismes officiels de type Qualiopi. Mais peut-être M. F. Bellivier veut-il aussi revoir les principes de formation tout au long de la vie et s’arroger de nouvelles compétences en termes de formation continue ?

Un deuxième écueil concerne la réduction de la formation et du champ des pratiques psychologiques aux seules approches standardisées — à la manière dont M. F. Bellivier a procédé pour Mon Soutien Psy. Plutôt que de fédérer autour d’un projet, le délégué ministériel préfère opposer les pratiques et les formations, les professionnels et les chercheurs. Or, la psychologie est une discipline plurielle, qui se nourrit et progresse dans la diversité de ses branches et mouvements, qui constituent autant de chances pour les patients. M. F. Bellivier vante les « données probantes » à partir desquelles il aspire codifier les pratiques des psychologues : mais sur quelle base engager une telle entreprise ? En ignorant systématiquement des pans entiers de la littérature scientifique ? En restant sourd aux appels d’institutions internationales comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui plaide pour une réorientation radicale des pratiques et des politiques de soin :

« Pour réussir à définir une approche de santé mentale intégrée, centrée sur la personne, axée sur son rétablissement et fondée sur ses droits, les pays doivent changer et ouvrir les mentalités, corriger les attitudes de stigmatisation et éliminer les pratiques coercitives [Pour se faire], il faut absolument que les systèmes et les services de santé mentale élargissent leur horizon au-delà du modèle biomédical, au profit d’une démarche plus globale prenant en considération tous les aspects de la vie du patient »[2] .


Un troisième écueil, concerne la para-médicalisation de la psychologie — thématique sur laquelle  M. F. Bellivier procède par dénégation : « ce n’est pas notre sujet »[3] . Pourtant il a souhaité que le dispositif MonPsy fonctionne sur prescription, contre l’avis des professionnels. Et dans la perspective de ce coup de force, il a sollicité un avis lacunaire de l’Académie de Médecine. Il argumente par ailleurs cette tentation de la para-médicalisation au regard de comparaisons internationales : « je rappelle que dans de nombreux pays européens, les psychologues qui interviennent dans la prise en charge de patients sont considérés comme des professionnels de santé, et que leur accès est régulé par la prescription de médecins »[4] . Le projet du délégué ministériel se dévoile alors sans fard : réguler l’accès aux psychologues par la prescription médicale. Le remboursement des soins devient ici le prétexte à la para-médicalisation et à la régulation des pratiques et de la formation, dont on ne sait pas comment il peut profiter aux patients. Poussons encore un peu les comparaisons : M.F. Bellivier souhaite soumettre la psychologie française aux fourches caudines de l’Evidence-Based Medicine en santé mentale. Le modèle américain (États-Unis) fait souvent référence en termes de psychiatrie biologique et de médicalisation des troubles mentaux : il est aussi le pays où la souffrance psychique de la population et les inégalités d’accès au soin sont les plus importants[5] . Est-ce à ce point de rupture que le délégué ministériel souhaite nous conduire ?

La quatrième difficulté concerne justement l’offre de soin et le service rendu aux patients. M. F. Bellivier propose de réguler l’accès et la formation aux psychothérapies selon des critères contestés d’un point de vue scientifique et institutionnel : une telle décision aurait pour conséquence immédiate de réduire mécaniquement une offre de soin déjà exsangue, et remettrait gravement en cause le principe de libre choix du mode de soin qui échoit aux patients comme aux professionnels. Autrement dit, le projet du délégué ministériel produirait de facto de nouvelles pertes de chances pour les patients et les familles. Face à la complexité des problématiques de santé mentale, et malgré la richesse de la culture et des pratiques de soin psychique en France — pluralité des pratiques nécessaire pour produire une réponse congruente à la complexité des problématiques psychiatriques — M. F. Bellivier n’évoque que les TCC et l’EMDR. Autrement dit, le délégué ministériel prétend répondre de manière uniforme aux problématiques de santé mentale de la population avec des thérapies par mouvements oculaires — sérieusement ?! [6] — et des guidelines standards dont l’application intensive, par exemple dans le cas de l’autisme, est aujourd’hui radicalement remise en cause d’un point de vue scientifique, pratique, institutionnel, politique et éthique[7] . A contrario, M. F. Bellivier ne dit rien de l’accueil et de l’accompagnement au long cours engagés par les psychologues dans les institutions hospitalières ou médicosociales. Il ne dit rien des pratiques de soin et d’accompagnement psychothérapeutiques si nécessaires au soutien quotidien des personnes en situation de souffrance psychique — pas plus qu’il n’évoque le travail d’analyse des pratiques et l’appui réflexif que les psychologues prodiguent aux équipes de soin et d’éducation. M. F. Bellivier ne dit rien de l’accueil de la douleur humaine, du trauma, de la mélancolie, de l’angoisse, de l’hallucination ou du délire, de l’accueil de l’étrangeté et de la folie qui font le cœur des pratiques en psychiatrie et pédopsychiatrie. Le délégué ministériel regarde la psychologie depuis un trou de souris, à partir duquel il élabore une vision tronquée du soin psychique, et s’étonne de l’échec de ses propositions.

Un cinquième écueil — la liste n’est pas exhaustive — concerne l’absurdité des propositions présentées dans Lexpress du point de vue des dynamiques de formation. Le titre de psychologue — comme d’autres titres et Diplômes d’État (DE) — est un titre unique qui sanctionne une pluralité de pratiques et d’orientations, sur des lieux et contextes d’exercice distincts, auprès de publics multiples. Ce constat trivial est le lot commun des professions adressées à autrui, de la médecine à l’enseignement en passant la psychologie, les soins infirmiers, l’éducation spécialisée ou le travail social. Les dynamiques de formation qui s’y déploient oscillent toujours entre transversalité et spécialisation : la spécialisation dans un domaine d’activité est alors pensée dans la perspective d’une montée en généralité de la pratique et de la fonction, et réciproquement, la conception générale du métier repose sur des assises praxéologiques et théoriques garanties par le travail engagé in situ. C’est ainsi qu’un psychologue formé à la clinique de l’autisme infantile en institution peut extraire de son expérience un savoir et un savoir-faire sur la relation et les pratiques psychothérapeutiques qu’il pourra transposer, en les adaptant, auprès d’adolescents en Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS), ou en service de cancérologie adulte, sans que cela ne remette en cause ses compétences, sa pratique ni la valeur de son diplôme. Les caricatures proposées par M. F. Bellivier sont absurdes et excessives : « on ne peut pas demander à un psychologue du travail ou de l’éducation de mener des psychothérapies pour des patients porteurs d’une schizophrénie ». Pas plus qu’on ne peut demander à un médecin psychiatre de réaliser un pontage coronarien ou une appendicectomie, sans qu’il ne soit pour autant nécessaire de remettre en cause sa formation médicale. En réalité, les critères de recrutement des psychologues cliniciens dans les services hospitaliers et médicosociaux sont particulièrement exigeants.


Dans son entretien à Lexpress, le délégué ministériel présente des données de la Cour des Comptes, qui montre « que pour 1 euro de dépense engagé, [l’]accompagnement [des psychologues] génère 1,40 à 1,90 euros d’économies en prévention des rechutes et des hospitalisations »[8] . Dans ce cas, il convient de laisser les psychologues faire leur travail, d’abonder les dispositifs psychiatriques et médicosociaux soutenant leurs pratiques, et de renforcer leur accessibilité en libéral. Mais surtout, ne pas toucher de manière sauvage à leur formation ni à leur pratique. Une année supplémentaire de formation ? Des stages en psychiatrie ? Une thèse d’exercice ou un doctorat professionnel ? Ces questions ne peuvent être posées et tranchées que par les organisations et les instances idoines de la psychologie.



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* Sébastien Ponnou est professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris 8 (Centre Interdisciplinaire Recherche, Culture, Éducation, Formation, Travail - Études Psychanalytiques en Éducation et Formation CIRCEFT EpsyFor — EA 4384). Ses travaux portent sur les questions de psychiatrie et de santé mentale. Il dirige l’Observatoire Épidémiologique et Clinique de l’Enfance et de l’Adolescence : Psychiatrie, Handicap, Protection de l’Enfance (LabCom EOLE). Il est personnalité qualifiée auprès du Conseil de l’Enfance et de l’Adolescence du HCFEA. Derniers ouvrages parus : Ponnou, S. (Dir.) (2025), À l’écoute des enfants autistes : le pari de la psychanalyse, Nîmes, Champ social Éditions . Ponnou, S., Briffault, X., et Chave, F. (Dir.) (2023). Le silence des symptômes : enquête sur la santé mentale et le soin des enfants, Nîmes, Champ social Éditions. Ponnou, S. (Dir.) (2022), À l’écoute des enfants hyperactifs : le pari de la psychanalyse, Nîmes, Champ social Éditions.



                                                                                                                                

[1] Benz, S. (2025). Frank Bellivier : "Il faudra être passé en psychiatrie pour valider une formation de psychologue clinicien", L’express, le 25-03-2025.

[2] OMS, 2022, Orientations et dossiers techniques aux services de santé mentale communautaire – Promotion des démarches centrées sur la personne et fondées sur des droits. https://www.who.int/ fr/news/item/17-06-2022-who-highlights-urgent-need-to-transform-mental-health-and-mental-health-care

[3] Benz, S. (2025). Frank Bellivier : "Il faudra être passé en psychiatrie pour valider une formation de psychologue clinicien". L’express, le 25-03-2025.

[4] Ibid.

[5] Gonon, F. (2011). La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? Esprit, (11), 54-73 ; Gonon, F. (2024). Neurosciences : un discours néolibéral. Psychiatrie, éducation, inégalités. Champ Social Éditions.

[6] Sur ce point il conviendrait que Franck Bellivier précise ses positions sans se retrancher derrière de pseudo scores d’efficacité statistiquement significatifs, mais toujours très faibles et sans valeur clinique : dans le cas de traumatismes - maltraitances, violences sexuelles, viols, violences physiques, violences conjugales, migrations, accidents, etc., le délégué ministériel préconise-t-il sérieusement des traitements par mouvement oculaire comme réponse de santé publique ?

[7] Chamak, B. (2024). Remise en question des approches comportementales dans l’autisme. In Ponnou, S. (2024). À l'écoute des enfants autistes. Le pari de la psychanalyse. Nîmes : Champ Social Éditions ; Maleval, J.-C. (2024). Le déclin de l’Applied Behavior Analysis (ABA) infligée aux autistes. In Ponnou, S. (2024). À l'écoute des enfants autistes. Le pari de la psychanalyse. Nîmes : Champ Social Éditions 

[8] Benz, S. (2025). Frank Bellivier : "Il faudra être passé en psychiatrie pour valider une formation de psychologue clinicien", L’express, le 25-03-2025.

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