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Emmanuelle Chaminand-Edelstein

Un îlot qui pourrait prendre l'eau

Emmanuelle Chaminand-Edelstein


Il faudrait vivre sur une autre planète pour ne pas se rendre compte du naufrage de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie. Le mépris récent du gouvernement, qui touche la profession de psychologue et les patients, met en lumière que la pensée complexe, le temps pour comprendre, la clinique sont malmenés depuis bien longtemps.

Ce qui a été déjà noté et qu’il m’importe de souligner, encore, c’est la langue, la façon dont le fou est nommé. Selon cette nomination, selon la façon dont il est pensé, le fou, ne peut trouver à loger sa folie de la même manière. Les avancées pharmacologiques ont permis à bien des égards le soulagement de certaines angoisses et un allègement du poids de la dépression chez de nombreux sujets. Mais pas sans la parole, pas sans transfert. Le transfert, par ce qu’il permet de mise en acte d’une parole, est l’opérateur principal du dispositif analytique. Prendre la parole pour dire ce qui fait souffrir, nommer un point de jouissance, prend du temps. Temporalité de plus en plus mise à mal dans un système de soin à durée limitée.

Dès lors que les classifications américaines ont pris le pas sur le diagnostic de structure, que le behaviorisme a pris le pas sur la sémiologie et l’interprétation, on ne peut s’étonner que ceux qui continuent de penser les symptômes comme à déchiffrer, soient dans le collimateur. Pas de sensitivité au programme ni de victimisation, mais le repérage d’une logique à l’œuvre : le courant libéral déjà bien en place dans toutes les arcanes des sociétés occidentales fait craindre que même les îlots ne prennent l’eau. Un îlot c’est une unité, un service, une équipe, qui de ci de là, travaille avec des concepts psychanalytiques, écoute les parents sur le savoir qu’ils ont de leur enfant, peut recevoir des adolescents et assurer que leurs dires ne seront pas d’emblée suivis de procédures et autres protocoles (des tests à tire larigot pour savoir si l’enfant est déprimé, pas concentré…). Il faudrait donc aller vérifier que ce que dit le patient, sa vérité, si c’est bien vrai et surtout objectivable. Les dérives qu’engendre l’écoute d’un enfant ou d’un adolescent qui ne se sent pas dans le bon corps, ne sont pas non plus rassurantes.

Forclore le pathos du symptôme, n’est-ce pas risquer son retour dans le réel ?

Ces équipes, une à une, peuvent s’engager dans une clinique du singulier en tordant, en se servant même parfois, des signifiants maîtres qui sont bien plutôt des acronymes maîtres : TDAH, TOP, TCA, HPI, Tdi, PTSD, mais combien de temps encore ?

La psychose elle-même est forclose, un comble ! « État limite » dans le meilleur des cas, faudra-t-il s’en contenter ? Changement de paradigme donc qui nous fait passer de la psychiatrie à la si mal nommée santé mentale. La division, de structure pour tout parlêtre, le symptôme qui itère, l’addiction qui court-circuite l’énonciation, ne trouvent que difficilement à se loger dans les discussions cliniques de nos services.

Nous avons pris une certaine habitude de composer avec d’autres discours et parfois le débat en est sorti enrichi et l’écoute du sujet enthousiasmante. Un réveil sous forme de coup de massue, nous fait voir que de débat bientôt, il ne sera plus question. Comme pour la crise climatique, ce sont les îles et les littoraux qui prendront l’eau en premier, des digues sont à construire, c’est l’urgence du moment.

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