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De la défectologie à l'inclusion à tout prix, dans le champ de la déficience intellectuelle. Partie 1 : De l'étude du défaut à l'importance du lien à l'autre




Victoria Ailloud-Perraud 1
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La défectologie se définit comme une « branche de la médecine concernée par les malades considérés comme irrécupérables pour une vie normale. » [1] Ce terme est utilisé dans la Russie des années 1920 et s’inscrit dans le contexte politique et social qui a suivi la révolution. Celle-ci a mis au point des programmes d’actions socio-éducatives, visant l’éducation pour tous et l’inclusion sociale. La volonté politique est alors d’intégrer les exclus à la société et notamment les enfants sans domicile, handicapés, pour qui le manque d’infrastructures pouvant les accueillir est criant. Il s’agit ainsi de repenser les systèmes éducatifs et sanitaires.

Lev Vygotski, psychologue et pédagogue Russe, fait de la défectologie un des fils rouges de son œuvre. Il crée en 1925 un laboratoire de psychologie pour l’enfance anormale, qui deviendra l’Institut de défectologie expérimentale. Il dirige cet institut jusqu’à sa mort en 1934. Vygotski s’inscrit sous les puissants idéaux de l'époque, avant qu’ils ne virent à l'idéologie ; il pense une société dans laquelle personne ne serait laissé en marge. Pour ce faire, il s’agit pour lui d’étudier les enfants et leur développement, afin de saisir ce qui fait défaut chez ceux qui se développent anormalement. Cela permettrait ainsi de former des professionnels désireux de s'intéresser à eux pour les prendre en charge.

La défectologie regroupe un large panel d’affections, allant des maladies organiques entraînant un handicap physique, la cécité, la surdité, à l’arriération mentale en passant par les sans domicile fixe, les enfants devenus orphelins pendant la guerre, les hors la loi, etc. C’est dans ce contexte que Vygotski s’intéresse à la déficience intellectuelle. Il élabore une conception singulière du développement de l’intelligence, qui s’oppose aux deux courants principaux de l’époque (biogénétique et sociogénétique). Dans son étude, il considère que l’attention est à porter non pas au défaut, mais à l’enfant qui fait avec ce défaut. Il distingue ainsi le quantitatif du qualitatif et concentre son intérêt sur ce dernier. En cela, il appréhende la déficience non pas comme une diminution quantitative de l’intelligence mais comme une organisation différente de la conduite de la personne. [2] « C’est cette organisation d’ensemble, et non la seule fonction affectée par la déficience qui doit être au centre de la visée du traitement et de l’éducation des sujets déficients »[3], écrit Vygotski, qui souligne un point qui tranche avec le courant actuel du « tout neuro » et sa réduction du sujet à son système neuronal et cognitif. Il décentre de cette manière la question du handicap de son volet organique pour se concentrer sur la manière dont l’enfant prend en charge sa propre particularité. Vygotski va ainsi observer les enfants, s’intéresser à leurs trouvailles et en tirer des conclusions. C’est dire qu’il est un pionnier dans le domaine de la clinique qui s'intéresse à la singularité du sujet.

Il élabore une théorie dynamique du développement de la pensée chez l’enfant, qui tient à cette particularité d’aller de l’extérieur vers l’intérieur, à l’inverse des hypothèses de Piaget par exemple. Selon lui, les processus psychiques supérieurs se développent d’abord dans les interactions avec autrui. Il s’agit d’un mouvement dynamique durant lequel l’enfant intériorise les premières expériences de collaboration et de communication avec l’autre. Ainsi, les mots sont d’abord transmis à l’enfant par l’autre, son entourage, ils prennent une fonction de communication sociale. Ils lui servent à catégoriser la réalité. Vient ensuite le langage égocentrique qui se transforme en langage intérieur, ce que Vygotski assimile à la pensée. L’auteur parle du passage d’un fonctionnement inter-psychologique à un fonctionnement intra-psychologique. Selon lui, les fonctions psychiques supérieures se développent à partir du collectif et de l’expérience sociale. Il distingue les défauts des fonctions élémentaires (surdité, cécité), des conséquences de ces dernières. Ainsi, le handicap, notamment intellectuel, entraînerait un lâchage de ou par la collectivité. C’est ce lâchage qui entraverait le développement des fonctions psychiques supérieures, d’ordinaire stimulées par les interactions sociales. Il récuse ainsi le principe de l’incurabilité de la déficience. L’éducation de ces enfants doit, selon lui, venir suppléer ou compenser ce défaut de socialisation. Il est critique des institutions proposant une « compensation par le bas », proposant aux déficients des activités occupationnelles, leur demandant le minimum en s’adaptant au handicap et les regroupant entre eux, ce qui les tient à l'écart du reste de la société.

Il met en avant le rôle du social, la question du lien à l’autre dans le développement des capacités intellectuelles. Un enfant exclu et isolé n’est pas stimulé par les interactions avec les autres et ne se développe pas dans la norme. Il théorise ainsi la « zone proximale de développement » qui est son invention la plus connue et qui est toujours largement utilisée dans le domaine de l’éducation. Cette zone proximale de développement fait référence à l’écart entre ce qu’un enfant peut accomplir par lui-même et ce qu’il peut accomplir avec l’appui d’un autre plus compétent, soit l’écart entre deux niveaux de développement chez l’enfant: « le niveau de développement actuel, déterminé par les tâches et les épreuves qu’il peut résoudre seul, sans l’aide d’autrui [...] et le niveau de développement potentiel, déterminé par les tâches et les épreuves qu’il n’est pas encore en mesure de résoudre seul, mais qu’il peut résoudre dans des situations de collaboration et d’intéraction sociale » [4]. Son idée est qu’il faut en passer par l’autre pour progresser ; il fait donc une large place à ce qu’il appelle l’affectivité et que Freud a nommé « transfert ».

 

À suivre…


[1] Selon le dictionnaire Larousse.

[2] Barisnikov (Koviljka), dir. et Petitpierre (Geneviève), dir. — Vygotsky, « Défectologie et déficience mentale », Revue française de pédagogie, n°112, 1995, pp. 119-121.

[3] Ibidem.

[4] Rochex (Jean-Yves), Note de synthèse: L'oeuvre de Vygotski : fondements pour une psychologie historico-culturelle,  Revue française de pédagogie, n°120, 1997, p. 130


 

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