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Georges Politzer : la psychologie et le problème de son objet




Alexandre Gouthière
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De nos jours, la psychologie se veut plus que jamais « scientifique ». C’est une qualité qu’on lui accorde d’ailleurs volontiers, la considérant pour acquise à la faveur des récentes avancées de la neuro-imagerie. Dans ce contexte, la lecture de la critique adressée à notre discipline par l’épistémologue Georges Politzer, en 1928, a la vertu d’appeler à une modération bienvenue. C’est une lecture fondamentale, qui fut une référence constante de l’enseignement du Docteur Lacan, et qui nous rappelle aujourd’hui que, loin d’être résolue, cette question hante la psychologie depuis son origine et reste on ne peut plus d’actualité.

Le problème que pose Politzer dans sa Critique des fondements de la psychologie concerne son objet. Quel est l’objet de cette discipline qui brigue le statut de science, indépendante de celles déjà existantes ? Cet objet est en effet selon lui mal défini, de sorte qu’il y a chez les psychologues un problème dans l’abord de celui-ci.

Pour Politzer, l’objet de la psychologie c’est ce qu’il nomme « le fait psychologique ». Cet objet a selon lui un statut particulier parmi les objets scientifiques, car il ne prend son caractère « psychologique » que lorsqu’on l’appréhende au niveau du récit personnel et singulier de celui qui le vit. En conséquence, pour parler de science « psychologique », il faut, selon Politzer, que celle-ci considère tous les faits dont elle peut s’occuper « en première personne ». Il en va ainsi des rêves par exemple, pour l’abord desquels Politzer rend hommage à la démarche de Freud. « Car, [dit-il] c’est l’existence de la première personne seule qui explique logiquement la nécessité d’intercaler dans la série des sciences une science “psychologique”[1] ».

Autrement dit, la subjectivité ne peut être exclue de l'étude des faits psychologiques sans leur faire perdre cette qualité. Selon Politzer, n'est pas un fait psychologique ce qui évacue la dimension subjective de l'expérience. « Enlever au fait psychologique son sujet qui le sous-tend, c’est l’anéantir en tant que psychologique[2] », dit-il.

Ainsi, dès l’instant que la psychologie quitte le récit du sujet de son « drame », selon les mots de Politzer, elle ne traite plus d’un fait psychologique, mais d’autre chose. Elle abandonne son objet pour celui d’une autre science qui s’en occupe déjà. Elle singe cette science en empruntant ses laboratoires et ses appareils, à défaut d’avoir sa rigueur. Elle devient une sorte de « paraphysique[3] ». La sentence de Politzer est alors sans appel : « Toute théorie fondée sur cette démarche ne peut être qu’une fabulation pure et simple[4] ».

Politzer est donc très dur avec la psychologie expérimentale, dont il dénonce le « déguisement scientifique » en pointant l’« artifice » auquel, selon lui, elle recourt pour masquer ce qui fondamentalement constitue son essence : l’abstraction. « L’abstraction [en question] élimine le sujet et assimile les faits psychologiques aux faits objectifs, c’est-à-dire aux faits en troisième personne[5] », nous dit-il. Les faits psychologiques n’ont alors plus aucune relation avec le sujet concret[6]qui en témoigne.

Or, Politzer rend hommage à Freud de ne pas opérer ce détachement, et il loue ce à quoi cette démarche aboutit : une nouvelle définition du fait psychologique. Il dit : « ce que la psychanalyse cherche partout, c’est la compréhension des faits psychologiques en fonction du sujet[7] ». Ainsi, et de manière renversante, si l’on suit Politzer, l’abstraction n'est pas à opposer à la psychanalyse, mais au contraire aux méthodes qui, via une subreptice abstraction, prétendent accéder au concret. Sa critique la plus cinglante sur ce point se fait entendre quand il fustige en ces termes l'emprunt par la psychologie des méthodes de la neurophysiologie : « D'une façon générale, quand on a dit que tout état psychologique traduit un état du système nerveux ou lui est parallèle, on s'est interdit la porte de tout savoir concret pour ouvrir les écluses de la Gehirnmythologie [8] ». Et il poursuit : « Le psychanalyste, au contraire, parce qu’il ne quitte jamais le plan de l’individu particulier, parce que pour lui le fait psychologique est un segment de la vie de l’individu particulier, obtiendra des conclusions concrètes qui atteindront les faits dans leur particularité, et, par conséquent, les individus dans leur vie concrète.[9] »

Pour Politzer, c'est donc la psychanalyse qui est une inspiration de la psychologie concrète, en ceci que jamais elle ne rompt une exigence qui, pour lui, est nécessaire pour qu'un fait soit qualifié de psychologique, et qu'il nomme « la continuité du je ». Alors certes sa critique loue étonnamment ensemble Freud et Watson, pour leur répudiation commune de l’abstrait. Certes aussi, Politzer finira par être critique envers la psychanalyse, qu’il accusera de retourner à l’ornière de l’abstraction, tandis qu’il reprochera à Watson de perdre littéralement de vue la psychologie. Certes enfin, Lacan lui répondra à la fin des années 60[10] que sa conception du je en reste à celle d’un je qui maîtrise, un je idéal, identique à la place de l’énonciateur. Mais tout de même, quelle critique, et des plus actuelles !

 

 

[1]. Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, Paris, PUF, 1968, p. 43.

[2]. Ibid, p. 46.

[3]. Ibid. p. 44.

[4]. Ibid, p. 46.

[5]. Ibid, p. 38.

[6]. Nous soulignons ici concret, que l’on trouve plus loin associé au savoir, et enfin, à la psychologie.

[7]. Ibid, p. 41.

[8]. Ibid, p. 71.

[9]. Ibid.

[10].  Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, pp. 70-73.

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