« Le Don de la parole »[1]
- Anne-Cécile Nackaerts
- 4 mai
- 3 min de lecture

Comment travailler aujourd’hui en institution ? Quelle place reste-t-il pour le sujet et son symptôme ?
La psychiatrie et les lieux où elle s’exerce traverse depuis quelques années une zone de grande turbulence. Exit le diagnostic structural, en place une kyrielle de symptômes avec laquelle plus aucun professionnel ne parvient à s’orienter. Tel le R2D2 de Star Wars, le patient est désigné par un assemblage de chiffres et de lettres afin de classifier sa souffrance, F32 état dépressif, F40 troubles anxieux phobiques, G47 trouble du sommeil etc…
Dans le dernier cours de Laure Naveau intitulé « Extimité du désir inconscient », dans le cadre des enseignements ouverts de l’École de la Cause Freudienne, Franck Rollier, invité à parler de son livre, Adolescents et parents déboussolés, nous enjoint à dresser l’oreille plutôt qu’à « dresser le sujet » pour entendre ce qu’il a à dire de son mal être : « quelque chose qui pourrait se dire ». Franck Rollier rappelle l’importance du « don de la parole »[2] opposée à la demande injonctive. Il ne s’agit pas de faire parler à tout prix mais d’accueillir ce qui peut se dire.
Une urgence s’impose, car sous le joug de « l’autoévaluation de son surmoi[3] », le patient considéré ou plus précisément évalué dans un « état médicalement irrémédiable de souffrance psychique constante et insupportable [4]» risque d’être abandonné sur la voie sans retour de l’euthanasie, à quoi l’expose, en Belgique, la dépénalisation de celle-ci, depuis la loi 2002. En effet, dans son articule paru dans le Mental n°50, Abe Geldhof souligne la dimension problématique de cette loi. Le texte ne différencie pas la souffrance physique de la souffrance psychique réduisant ainsi cette dernière à « une question médicale[5] ». Sa cause ne relèverait alors plus que du neurologique ou du biologique, souligne Abe Geldhof.
Deborah Allio et Anne Le Gal dans un livre récent[6] témoignent de cet indispensable accueil fait au symptôme. Comme le rappelle Armelle Guivarch dans sa préface, il est nécessaire de permettre aux patients « de se réapproprier une vie afin d’apercevoir, si c’était possible, la logique de la répétition du symptôme[7] ». Leur livre, accessible n’est pas simpliste pour autant, car les auteurs ont pris la peine de démontrer au moyen de nombreux cas cliniques, articulés avec finesse à la théorie lacanienne, l’urgence d’un retour à une clinique vivante au un par un.
Ce très bel ouvrage met également à l’honneur l’indispensable travail à plusieurs. Là où aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, nombre d’entre nous sommes seuls dans nos bureaux, Deborah Allio et Anne Le Gal redonnent à l’institution ses lettres de noblesse. Au sein d’un hôpital soumis à l’exigence de résultats les moins coûteux possibles, comment repenser « le travail à plusieurs au sein d’un collectif » ? Les auteurs mettent en valeur le travail en équipe dans des Maisons thérapeutiques, des lieux où peut être reconstruit un lien social ; ainsi pour Céline, la présence des autres réintroduit du vivant dans son existence, tandis que pour Julie, l’accent porte plutôt sur la nécessaire « mise à l’abri »[8], le temps de pouvoir réguler une jouissance envahissante et restaurer, si ce n’est instaurer, un lien à l’autre plus pacifié.
En remettant sur le métier le travail en institution, ses méthodes, les moyens dont il dispose et ses fins, Deborah Allio et Anne Le Gal, parient à nouveaux frais sur la valeur du symptôme et « le don de la parole ».
[1] Cf. Rollier F., in enseignements ouverts de l’ECF de Laure Naveau, « Extimité du désir inconscient », cours du 5 mars 2025.
[2] Ibid.
[3] Geldhof A., « L’impitoyable autoévaluation », Mental, n°50, Novembre 2024, p. 50.
[4] Ibid., p. 61.
[5] Ibid.,p. 47.
[6] Allio D. et Le Gal A., Du bon usage de la psychanalyse, éditions IMAGO, mars 2025.
[7] Guivarch A, « Du bon usage de la psychanalyse : apprivoiser le symptôme », in Allio D. et Le Gal A., Du bon usage de la psychanalyseéditions, op. cit., p. 13.
[8] Allio D. et Le Gal A., Du bon usage de la psychanalyse, op. cit.
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