Pourquoi lire Neurosciences, un discours néolibéral-psychiatrie, éducation, inégalités[1] de François Gonon ?
- De Swarte Hélène
- il y a 2 jours
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Plonger dans la lecture de ce livre ouvre une voie de discussion sur le discours des neurosciences. François Gonon en déplie avec une grande précision la zone d'influence, notamment dans les médias.
De son « analyse critique du discours des neurosciences quand elles s'appliquent à trois domaines de recherche : la psychiatrie, l'éducation et les inégalités sociales[2] » , je retiendrai trois points.
Les neurosciences peuvent-elles expliquer les comportements humains ?
Non, l'explication des comportements humains ne se trouve pas dans la biologie du cerveau ! Ainsi conclut le neurobiologiste, s'appuyant sur un travail de recherches d'articles scientifiques parus depuis les années 70.
À plusieurs reprises dans son livre, il renouvelle l'hypothèse selon laquelle la cause est plutôt la conséquence. Concernant par exemple les troubles des apprentissages (TDAH), François Gonon a pu mettre en évidence avec ses collègues une interprétation causale abusive : « la diminution minime du volume de l'amygdale observée chez les patients souffrant de TDAH pourrait aussi bien être la conséquence que la cause de ce trouble[3] ». De même que : « la diminution du volume de l'hippocampe semble bien plutôt la conséquence de la dépression que la cause de la dépression[4] ».
Ainsi, « chaque homme est avant tout une histoire vécue de manière unique [...] le psychisme ne s'exprime que par la parole et ne peut être abordé que par un autre psychisme », écrit Édouard Zarifian, cité par F. Gonon[5].
La rhétorique de la promesse : qu'est-ce à dire ?
« Pour l'instant, les neurosciences ont peu bénéficié aux patients souffrant de troubles mentaux ainsi qu'aux écoliers issus de familles défavorisées. Le succès des neurosciences dans l'espace médiatique tient donc plus à une rhétorique de la promesse[6] ». C'est dit !
Le premier argument soutenant cette rhétorique est le suivant : « la hiérarchie des valeurs entre les différentes sciences expérimentales[7] ». Autrement dit, et selon cette hiérarchie, les neurosciences seraient les plus à même d'expliquer les comportements humains.
Le deuxième argument pose « qu'il n'y a pas d'autre monde que matériel[8] ». Alors, que faisons-nous de l'angoisse, du sentiment de la vie, du désir, « de la honte et de la culpabilité » ? Comment est-il possible de réduire l'humain, les comportements humains à un fonctionnement neuronal, qui viendrait faire taire le sujet, puisqu'un neurone, ça ne parle pas ? De même que les ratages dans la langue, les achoppements, les choix de vie parfois désagréables, les répétitions qui deviennent des impasses, les affects ne sont pas des erreurs à rééduquer pour fabriquer des êtres performants devant rallier « une trajectoire attendue[9] ». Attendue par qui ? Et pour quoi ?
Des limites qui font leviers
« On ne peut faire l'expérience de la vie psychique qu'en première personne, autrement dit on ne peut pas se mettre à la place d'autrui[10] » ; « les neurosciences s'attachent à décrire le cerveau humain “normal” dans son universalité alors que chaque cerveau est unique[11] ». Voilà deux limites que rencontrent les recherches en neurosciences et qui font points de repères depuis que Freud a inventé la psychanalyse.
Caroline Doucet, dans son intervention lors de la soirée des Psychologues freudiens du 14 mai 2024, l'énonçait clairement : « l'universel ne permet pas de penser l'humain. […]. La spécificité du psychologue freudien [...] c’est la considération de la singularité dans la clinique, quel que soit le service dans lequel il exerce[12] ».
Ce discours politique d'autorité des neurosciences, qui tend vers un impérialisme de ces derniers, n'est pas celui qui oriente les Psychologues freudiens, dont la visée est plutôt de limiter l'étendue de ce discours par une position éthique qui ne cède pas aux sirènes du pour tous pareils, du tout-neuro. Une pratique clinique qui se fonde sur le champ de la parole, qui prend le temps de faire se déplier la logique subjective, donne une chance d'où peut émerger le savoir singulier et la responsabilité de chacun par rapport à son symptôme.
[1] Gonon F., Neurosciences, un discours néolibéral – Psychiatrie, éducation, inégalités, Edition du Champ Social, 2024.
[2] Ibid., p.19.
[3] Ibid., p.55.
[4] Ibid.
[5] Ibid., p.24 (cf. Zarifian E., Les jardiniers de la folie, Paris, Editions Odile Jacob, 2000)
[6] Ibid., p.159.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] « communiqué de presse du 19 mars 2025 », lancement de l'institut Robert Debré du Cerveau de l'Enfant, p.2.
[10] Ibid., p.160.
[11] Ibid., p.161.
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