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Le fondement de la parole et le transfert

Dominique-Paul Rousseau




Pour nous, psychologues freudiens, la parole reste « le champ central de notre domaine[1] » tant pratique que théorique, tant éthique qu’épistémique. Le phénomène du « transfert » lui est chevillé.

En effet, « les mots sont bien l’outil essentiel du traitement psychique[2]», écrit Freud dès 1890. La médecine d’aujourd’hui – dotée de sa puissante imagerie « high-tech » –, comme celle du temps de Freud, ne manque jamais de « présenter l’âme comme déterminée par le corps[3] » : la psychè – parole comprise – n’est que la résultante de l’activité neuronale de l’encéphale. Inverser l’assertion, à savoir qu’il existe une « action de l’âme sur le corps[4] », nous fait irrésistiblement « quitter le terrain de la science[5] ». Pourtant, à la fin du XIXème siècle comme aujourd’hui, que ce soit à l’examen du cerveau (EEG, IRM, PET, …) ou à celui des gènes (caryotype, séquençage, …), « on ne découvre aucune modification [organique] tangible[6]» pour de nombreux malades présentant des symptômes tant somatiques que psychiques. Or, « un changement dans l’influence de leur vie psychique sur leur corps[7] » constitue la cause première des troubles. En outre, tout un chacun peut observer les effets corporels des émotions et des affects, et au fond, de tout « processus de pensée[8] ». Par conséquent, « les mots sont de bons moyens pour provoquer des modifications psychiques[9] ». Ce qui fera dire à Lacan que « de tout temps la médecine [a] fait mouche par des mots[10] », attestant des effets du langage sur le corps.

Mais pour que les mots puissent « provoquer des modifications psychiques chez celui à qui ils s’adressent[11]», il est nécessaire que le patient soit dans un état d’« attente croyante[12]» par rapport au médecin en qui il place sa confiance. C’est de ce « facteur surpuissant » que Freud propose de « s’emparer » pour « s’en servir avec l’intention de l’orienter et de le renforcer[13]». Il le conceptualisera plus tard comme « transfert », impliquant la possibilité pour celui qui souffre de choisir celui qui le soignera[14] : « Avec la suppression du droit de choisir librement son médecin serait réduite à néant une condition importante de l’influence psychique sur le malade », écrit Freud… il y a 134 ans, ce que contestent aujourd’hui certaines approches qui considèrent que, si la méthode est « scientifique », alors elle peut être appliquée par n’importe quel soignant dûment formé.

À cet égard, précisons que, s’il s’agit d’influence sur le malade, le psychologue, parce que freudien, n’exerce par principe aucun pouvoir sur le patient, puisqu’il l’invite à parler librement pendant la cure, qui, si elle n’est pas sans principes, exclut toute normativité. Seule la pratique de l’interprétation y a cours : elle permet au sujet de s’entendre parler (se faire responsable de ce qu’il dit) et de se défaire (non sans « déplaisir[15] ») des discours de l’Autre qui, opérant à son insu, l’ont marqué, prenant parfois valeur de prophétie pour lui. Car, écrit Freud, « toute contrainte psychique a son fondement dans l’inconscient[16] ». La méthode analytique ne «suggère » donc rien : elle n’ajoute pas de sens (per via di porre) à l’excès de sens qui rend malade le sujet ; au contraire, elle en retire (per via di levare[17]). Aussi Freud abandonna-t-il l’hypnose (Liébault, Bernheim), puis la suggestion (Moebius), pour laisser place à l’association libre de la « méthode analytique[18] » en s’appuyant sur le transfert.



[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 244.

[2] Freud S., « Traitement psychique » [1890], Résultats, idées, problèmes, tome 1, Paris, PUF, 2007, p. 2.

[3] Ibid., p. 3.

[4] Ibid., p. 3.

[5] Ibid., p. 4.

[6] Ibid., p. 3.

[7] Ibid., p. 5.

[8] Ibid., p. 7.

[9] Ibid., p. 12.

[10] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 513.

[11]  Freud S., « Traitement psychique », op. cit., p. 12.

[12] « Glaübige Erwartung », Freud S., « De la psychothérapie » [1904], Paris, quadrige, PUF, 2007, p. 14.

[13] Ibid.,  p. 15.

[14]  Une des raisons d’être de l’Association des Psychologues Freudiens.

[15] Freud S., « De la psychothérapie », op. cit., p. 23.

[16]  Ibid.

[17] Ibid., p. 16.

[18] Ibid., p. 15.

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