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Pouvoir d’agir versus manque-à-être




Sophie Charles
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Depuis que le discours du capitalisme allié à celui de la science s’est imposé dans le champ de la protection de l’enfance, de nouveaux syntagmes issus de travaux de recherches en science de l’éducation sont promus et prescrits dans les institutions. À la suite d’une démarche de consensus sur les interventions d’assistance éducative à domicile initiée en 2019 par la secrétaire d’État, un rapport de l’IGAS[1] recommande aux intervenants sociaux, aux institutions et à l’Aide Sociale à l’Enfance de soutenir « le développement du pouvoir d’agir[2] » des familles, parents et enfants, termes inspirés de la notion anglo-saxonne d’empowerment, issus du discours managérial. Véritable fer de lance des politiques départementales, le DPA définit « la capacité concrète des personnes d’exercer un plus grand contrôle sur ce qui est important pour elles » ; « à conscientiser », « maîtriser sa vie ou la prendre en main ». À grand renfort d’offres musclées de formation interne en direction des professionnels, il s’agit de transmettre les outils et les références qui proposeront de « donner la parole aux enfants et aux parents pour faire valoir leur point de vue et participer aux décisions qui les concernent », « à faire avec autrui » et non « pour lui » et déloger les acteurs médico-sociaux de leur expertise. Si ces intentions semblent louables, la rhétorique du faire s’impose en déniant celle de l’être et du non-être.

Considérée comme une innovation éducative, cette démarche se propose de remettre en question les définitions de l’aide relevant soit de l’approche caritative visant à soulager la souffrance, soit de la médecine et plus globalement du soin qui vise la guérison soit, enfin, de la militance politique. Le DPA propose de « s’affranchir de la souffrance », de la dépasser en en éradiquant les causes. Telle serait l’ambitieuse et pragmatique finalité des pratiques sociales et éducatives au XXIème siècle dont le maître-mot est Agir ! Accompagné d’une cohorte de références aux philosophes théoriciens de l’action tel Paul Ricoeur, les promoteurs du « pouvoir d’agir » – on admirera au passage le caractère tautologique de l’expression – séduisent et rallient financeurs, administrateurs et politiques.

Comment ne pas objecter à cette langue de bois, langue de l’Autre et à son entourloupe qui tour à tour dénie le registre de l’inconscient, du réel et de l’impossible ? Quels effets cette ruse du nouveau maître induit-elle dans les domaines clinique et éducatif ?

Sur le terrain, certains éducateurs résistent à cette injonction de l’agir, acceptant d’accueillir l’impossible, le ratage et de laisser place à la surprise. Ceux-là s’avancent sans projet préétabli pour l’adolescent et s’autorisent en creux, à incarner le vide, se décalant du registre de l’impuissance pour rejoindre celui de l’impossible. Alors seulement, les conditions d’une rencontre et du transfert peuvent émerger. J’appelle « transfert » le nom de cette relation authentique qui, du côté du clinicien, mais aussi de l’enseignant, fait une place au manque-à-être, corollaire au désir. Un pas de côté quant au discours du maître contemporain qui renoue avec le déni de l’impossible de la pratique éducative, un pas qui peut conduire certains sujets à se former dans le champ freudien où le transfert est mis en acte et analysé.

[1] Inspection générale des Affaires sociales. [2] Ou D.P.A. Cf. Yann Le Bossé, L’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir, disponible sur internet : anas.fr Sur le site de LADPA on trouve cette définition du DPA : « D'un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d'agir sur ce qui est important pour elles-mêmes, leurs proches ou la collectivité à laquelle elles s'identifient ».

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