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Persévérer quand les temps changent Une mutation du médico-social : histoire et discours- Partie 2

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Début des années 2000. Une autre institution médico-sociale : un Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP). Ici, double direction : un médecin directeur, psychiatre expérimenté et une direction administrative. Cette dernière, alternativement, émane tantôt du monde du social (ancienne éducatrice devenue directrice par exemple), tantôt de l’éducation nationale (psychopédagogue, ancien enseignant). Le médecin directeur, intéressé par la psychanalyse, a une influence certaine sur le choix des professionnels (psychologues, orthophonistes, psychomotriciennes, assistantes sociales, etc.) et travaille de concert avec la directrice administrative. Des réunions cliniques sont mises en place, des journées d’études sont organisées autour de notions cliniques concernant la pratique en CMPP. Un dispositif spécifique pour adolescent est inventé, permettant un accueil rapide des demandes. Chacun s’efforce de traiter le problème de la liste d’attente – parfois avec un certain succès. 


Ici également, une association gestionnaire. Son conseil d’administration composé de bénévoles, parfois de parents d’enfants dits inadaptés, mais aussi d’anciens professionnels de l’éducation nationale. Cette association gestionnaire, dans la suite de la création des ARS, va s’étendre (sans doute avec le soutien de l’ARS) : départementale au départ, elle couvre bientôt deux départements, avec pour objectif bientôt d’être régionale. Cette extension s’accompagne d’une profonde restructuration où, là aussi, on assiste à l’inversion du vecteur du discours : les budgets reçus de la sécurité sociale pour le financement des établissements deviennent extrêmement conséquents et impliquent la création d’une direction financière au siège. De même, pour les salariés : la direction des ressources humaines se voit centralisée. Des directeurs administratifs voient leurs fonctions s’étendre : il n’est pas rare qu’un directeur administratif devienne responsable de plusieurs CMPP ou de structures annexes. Le principe tacite, d’une alternance d’une direction émanant tantôt du social, tantôt de l’éducation nationale s’évapore. Les directeurs administratifs ne sont plus recherchés pour leur expérience de terrain mais pour leur expérience et leur formation, de gestion et de management. Ainsi l’organisation même, toujours plus descendante, hiérarchique, extensive, centralisée, favorise un canal de discours simplifié et efficace – mais hors transfert. Les recommandations de bonnes pratiques sont aisément relayées dans ce contexte. De même, les embauches de neuropsychologues ou de psychologues pratiquant différents tests recommandés sont favorisés par ce discours ambiant, au détriment de psychologues orientées par la clinique qui étaient choisis, via la dimension du transfert et de leur expérience clinique de la rencontre. Ce qui prévaut, est moins l’accueil et l’analyse de la singularité du symptôme, la parole, que la gestion des flux de population, l’étiquetage diagnostic TND et bientôt l’orientation comme plateforme. Parallèlement, la crise qui touche la population médicale conduit le CMPP à n’avoir de médecins qu’à temps très contraint : la clinique de la rencontre, le transfert ne sont plus, ou bien plus difficilement, aux commandes.


Il ne s’agit pas de dire que c’était mieux avant, mais de repérer le champ de force, l’organisation des discours qui dominent et la façon dont se structurent et se nouent discours du maître, capitalisme et science. Comme l’indique Armelle Guivarch dans le dernier numéro d’Ornicar ?, « l’évaporation du père a eu des conséquences sur les institutions où le savoir et la direction s’incarnaient dans les figures du maître et celle directeur, ceux qui guident. Ils constituaient idéal et garantie, semblants qui ont pu paraitre nécessaire. Aujourd’hui c’est la débrouille ou la débandade ». 


Comment interpréter cette nouvelle donne qui se dessine, en laquelle les Psychologues Freudiens ont à jouer leur partie ? 


Jean-Claude Milner déchiffre deux logiques différentes :  problème/solution Versus question/réponse. La première pose les choses en termes de problème qui appelle une solution. Elle ne s’inscrit pas, dit-il, dans l’ordre de la langue, mais dans l’ordre de l’objectivité (conceptuelle, matérielle, gestionnaire, etc.) À l’inverse, la seconde pose les choses en termes de question qui appelle une réponse. Cela implique qu’un être parlant la pose à un être parlant : On est alors dans l’ordre de la langue. On serait tenté de dire que cette mutation du monde médico-social peut s’éclairer de ce changement de paradigme : ne serait-on passé d’un monde de questions/réponses sur fond de transfert et d’accueil du symptôme au « un par un », dans l’ordre de la langue, au monde des problèmes/solutions, dans l’ordre de l’objectivité (supposée et scientiste) sur fond de gestion de population (et des professionnels), d’effacement de la parole au profit de la pratique du questionnaire sous couvert de science ? 

De son côté, Jacques-Alain Miller, dans son bel article « Jouer sa partie », indique le nouveau tour que la civilisation a pris, par le passage du discours du maître à celui du capitalisme. Il souligne qu’à cette occasion un garde-fou a sauté : Le discours du maître à la « papa », si l’on peut dire, maintenait une rupture, une barrière, une distance entre l’objet petit a et le S barré, « entre le sujet et sa jouissance excédentaire ». Le discours du capitalisme comporte, lui, une espèce de court-circuit, une connexion entre a et S barré, ce qui signifie que le mécanisme d’impasse propre à la civilisation y triomphe : « la permission est mise au poste de commandement ». « Le chemin suivi par la civilisation aujourd’hui montre que le plus-de-jouir […] est en passe de soutenir la réalité comme telle. […] Le règne de l’image ou la consistance de l’opinion […] manifestent à quel point et jusqu’où se sont avancées les manipulations de la réalité ». 

« Consistance de l’opinion »,« manipulations de la réalité » : n’est-ce pas ce que nous font entendre, à leur façon, la sénatrice Guidez et son amendement ou encore Franck Ramus en croyant si dur à la pseudo-science, et si peu en la parole, faisant fi des témoignages autres ?


Voilà qui augure de temps difficiles. Serrer la voilure, inventer pour tenir, seront nos appuis, seuls et à plusieurs, comme toujours.


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