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Psychologues...cliniciens ?




Mathilde Pagnat
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Depuis plusieurs années, l’adjectif clinique, accolé au titre de psychologue, tiraille la profession, s’il ne la divise. Nombreux sont ceux qui ont été offusqués qu’on l’étende à certains parcours universitaires de psychologie auxquels il semblait jusqu’à il y a peu, étranger. Pourquoi ? Que signifie le titre universitaire de psychologue clinicien ? Les temps changent, et les coutumes avec eux. Aujourd’hui, on peut lire que les institutions, notamment celles relevant de la psychiatrie et des soins psychiques, recherchent le plus souvent des psychologues cliniciens, avec cet ajout : « dotés d’une formation en TCC ». Nous constatons cette évolution dans les recrutements qui se font sur ces qualifications. Quoi d’étonnant à cela, puisque telles sont les recommandations de la Haute Autorité de Santé au titre desdites bonnes pratiques. En marge de ces courants et contre-courants, beaucoup de pratiques perdurent, appréciées. Un exemple parmi d’autres : les pratiques dans le cadre des consultations pédiatriques pluridisciplinaires. Les jeunes patients qui y sont conviés, le sont par l’énigme que représentent pour la médecine leurs symptômes douloureux. Les techniques de rééducation comportementale sont parfois appelées, mais lorsque la situation se déplie, la petite équipe de soins somatiques dans laquelle je travaille prête une oreille attentive et se risque à la rencontre avec un sujet dont ils disent ne rien comprendre. Alors un renversement s’opère : plutôt que d’avoir l’idée de ce que l’on va apporter au patient, un pari se fait sur ce que ce patient-là peut nous apprendre de son savoir-faire avec son symptôme. Le savoir changerait de camp…

Récemment, l’association des Psychologues freudiens a proposé de travailler autour de textes de psychologues qui ont été cités par Jacques Lacan. Le petit groupe de lecture auquel j’ai pris part, a choisi pour objet d’étude Michel Foucault et son ouvrage, Naissance de la clinique, paru aux PUF en 1963. M. Foucault, professeur au Collège de France, philosophe et psychologue, a enseigné la psychologie à l’École Normale Supérieure. Reconnu pour son œuvre magistrale, il a proposé un travail d’ampleur sur la méthode clinique. Il met en avant la manière et les raisons pour lesquelles les cliniciens (de la médecine) se sont passionnément attachés à rendre visible l’invisible[1] . Ainsi – c’est un exemple parmi d’autres –, en référence à Tissot et la clinique pédagogique du 18ème siècle, il dit que « la clinique n’est pas un instrument pour découvrir une vérité inconnue ; c’est une certaine manière de disposer la vérité déjà acquise et de la présenter pour qu’elle se dévoile systématiquement… l’élève ne connaît pas d’entrée de jeu, la clef »[2]. Mettant en exergue que ce n’est pas le regard « qui a pouvoir d’analyse et de synthèse ; mais la vérité d’un savoir discursif qui vient s’ajouter de l’extérieur et comme récompense au regard vigilant… il montre qu’il ne s’agit pas d’un examen mais d’un décryptement »[3]. 

Ces extraits ont fait écho pour moi à la mise en œuvre d’une orientation clinique psychanalytique en pédiatrie et ils m’ont amenée à ces questions : n’y a-t-il pas autant de praxis cliniques que de discours ? Sous cet angle, le psychologue clinicien a à choisir, s’il ne veut pas errer. Mais alors, le signifiant clinique, préempté ces dernières années par la thèse neuro, peut-il qualifier sans escroquerie des psychologues marquant leur préférence pour une clinique du regard ? Les technologies précieuses que sont l’IRM ou le scanner sont utilisées aujourd’hui pour débusquer les Troubles Neurodéveloppementaux, avec l’illusion d’objectiver les symptômes et de cartographier les souffrances des sujets. On ne peut que constater que le signifiant clinique a perdu son pouvoir d’orienter les cliniciens de la parole, pire : il égare le public et favorise la confusion. 

En tant que psychologue freudien, il nous faudrait alors rechercher comment nous pourrions spécifier la clinique psychanalytique. À ce titre, cette précision du décryptement pourrait être un premier élément précieux. 

Dans la revue Ornicar? n°9 [4], J. Lacan propose à la Section clinique de Vincennes d’ouvrir son propos sur cette question : « Qu’est-ce que la clinique psychanalytique ? Ce n’est pas compliqué. Elle a une base – c’est ce qu’on dit dans une psychanalyse ». Il précise ensuite que « la clinique psychanalytique consiste dans le discernement de choses qui importent et qui seront massives dès qu’on en aura pris conscience ». « Pour chacun, on ne sait par quelle voie, quelque chose chemine de ces premiers propos entendus, qui fait que chacun a son inconscient. (…) Supposer que la clinique psychanalytique, c’est ça, indique une direction à ceux qui s’y consacrent. »

Ainsi, dans l’émission « Histoire de psychanalyse » du 14 juin 2005, Jacques-Alain Miller indique que « Foucault s’amusait à dire que la psychanalyse est la suite d’une confession », mais qu’ « il y a quand même cette différence que la psychanalyse cultive le sentiment de culpabilité et c’est même la condition pour s’analyser. Le sujet qui vient se plaindre des autres finit par apprendre que c’est sa faute et s’il ne passe pas par le moment où c’est sa faute, on ne peut pas à proprement parler l’analyser. »

Ce point est crucial car l’éthique psychanalytique s’applique à la singularité et à la responsabilité. Le clinicien orienté par la psychanalyse s’emploierait donc à aider le patient à décrypter « son dossier intime »[5]. 

Il semble que, par là, l’enseignement de Lacan, lecteur attentif de Freud, signe une rupture franche d’avec ce que l’on pourrait nommer la clinique des psychothérapies : s’abstenir de vouloir quelque chose pour le patient. Dans les formations de l’inconscient, J. Lacan énonce qu’il est « parfois plus important de soutenir le problème posé que de le résoudre ». Dans son ouverture à la Section clinique de Vincennes, il répond à J.-A. Miller : « ce n’est pas la peine de thérapier le psychique. Freud aussi pensait qu’il ne fallait pas se presser de guérir. Il ne s’agit pas de suggérer ni de convaincre. »

Voilà qui éclaire le fait que nombre de praxis qualifiées aujourd’hui de cliniques semblent bien plus répondre à un égarement dans les institutions : on y cherche La solution et l’on recule devant la complexité de notre champ et l’accueil de l’incontournable complexification des problèmes posés par notre époque. Ce recul, encouragé par le maître qui, de tout temps, cherche l’efficacité par les moyens les plus directs, les Psychologues freudiens en prennent acte en montrant que le sujet, par définition, n’y souscrit pas.

La clinique psychanalytique lacanienne suivrait-elle à contre-pied le fil de la complexification ? Pourrait-on dire qu’elle n’a de cesse que de suivre la trace sur laquelle se forge l’inconscient [6] pour lire le dossier intime et impartageable du sujet, en suivant la façon qu’a chacun de prendre langue ?

Cette praxis clinique donne le cap vers un savoir non normalisant, un désir de savoir, « à l’envers des normes », comme le dit Aurélie Pfauwadel[7]. Sa logique autre dérange puisqu’elle invite à ce que : « quelque chose ne s’arrange jamais et on a à s’arranger avec ça »[8].

Aujourd’hui que le signifiant clinique est partout, la place et la fonction de celles et ceux qui valorisent la clinique du sujet, devenue, avec le dernier Lacan, celle du parlêtre, ne sont plus les mêmes dans les institutions, ou les établissements de soins. Autant, en libéral, le praticien est encore libre de s’orienter à ses risques et selon l’orientation théorique de son choix, autant, dans les institutions, il a à se frayer une marge, dans laquelle mettre à l’épreuve, avec autant de modestie que de détermination, les pouvoirs de la parole et du langage, avec les équipes mises à mal par le discours managérial et, quand c’est possible, avec celles et ceux qui souffrent encore à l’ère de la dépathologisation.


[1]  Giard L. (s/dir), Michel Foucault, Lire l’œuvre, p. 62, Christiane Sinding, chap I, partie 2, « La méthode de la clinique », Éditions Jérome Million 2012, 1ère édition 1992.

[2] Foucault M., La Naissance de la Clinique, Paris, PUF, Quadrige, 2015, chap. IV, p. 91.

[3] Foucault M., La Naissance de la Clinique, op. cit., chap. IV. p. 92.

[4] Lacan J., « Ouverture à la section clinique », Ornicar ?, n°9, 1977, pp. 7-14.

[5] Miller J.-A., « Histoires de psychanalyse », France culture, émission du 30 mai 2005, « Quand on est en analyse, qu’est-ce qu’on dit de si différent ? ».

[6] Lacan J., « Position de l’inconscient au colloque de Bonneval », 1960, in Écrits, Paris, Seuil, 1966.

[7]  Pfauwadel A., Lacan versus Foucault. La psychanalyse à l’envers des normes, Les éditions du Cerf, 2022.

[8] Miller J.-A., « Histoires de psychanalyse », France culture, émission du mardi 14 juin 2005, « Les pratiques du tout dire ».



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