L'envers du décor
- Sarah Camous-Marquis
- 3 oct.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 oct.

Pour une soirée qui traitait de « L’envers du décor »[1] , on peut dire que la conversation des psychologues freudiens avec François Gonon a complètement renversé la perspective !
Vous pensiez que les neurosciences s’appuyaient sur une recherche scientifique solide ? Pour partie évidemment, quand il s’agit de troubles neurologiques comme l’encéphalopathie ou un adénome hypophysaire, mais quand cela concerne la psychiatrie, l’éducation ou les inégalités sociales, le « discours neuro-essentialiste » est une tout autre affaire. Ce qu’il y a derrière le décor pourrait se résumer en un mot : une croyance.
Le travail de François Gonon s’appuie sur l’étude et la lecture rigoureuse de très nombreux articles scientifiques, ce qui ne l’empêche pas d’illustrer son propos d’une façon très simple. La comparaison qu’il fait entre les recherches sur la neurobiologie du cerveau et celles sur le cancer rend très palpable le cœur de l’affaire. Les unes comme les autres ont connu l’heure des grandes promesses. Dans les années 70, avec Nixon, on a cru que si l’homme avait mis dix ans pour aller sur la lune, il n’en faudrait pas plus pour vaincre le cancer. Hélas, malgré de notables progrès dans le domaine, le résultat n’est toujours pas là. Pourtant, en ce qui concerne le cancer, il y a des connaissances biologiques précises et solides. Rien de comparable du côté du cerveau pour les domaines ici en question : François Gonon souligne que « la recherche du fonctionnement biologique du cerveau, ça ne nous apprend pour l’instant rien du tout sur les TND »[2] ou encore que « pour les troubles mentaux, où on a aucune approche biologique, on va doser tous azimuts. » Cela revient à « chercher une aiguille dans une botte de foin », alors qu’il vaudrait mieux la chercher « dans la boîte à couture » ! C’est ainsi que les différents « consensus » et « recommandations » issus des neurosciences se basent sur des approches statistiques, sans réelle assise neurobiologique. Fait notable : faute de savoir où chercher, l’industrie pharmaceutique, pourtant lucrative, a fermé ses laboratoires.
Dès lors, François Gonon conclut qu’il est « très très prématuré de vouloir organiser les soins à la lumière d’une éventuelle neurobiologie. » Entendons ici tout le poids « d’éventuelle » ; on peut croire au père noël, aux licornes, en parler, ce n’est pas pour ça qu’ils existent. La dimension de croyance est ici prédominante, et largement amplifiée par la médiatisation de quelques résultats prometteurs.
Vous pensiez que l’autonomie était valorisée par le discours des neurosciences ? Comme le souligne François Gonon, qui pourrait être contre ? Mais cette autonomie-là, revient non seulement à laisser les patients sans l’appui du lien social mais aussi à les épingler sous un diagnostic définitif, induisant « pessimisme » des soignants, « rejet » et « discriminations ». Ajoutons que le caractère injonctif, impératif, de ces discours objectent aux principes d’autonomie et de responsabilité qu’ils sont supposés promouvoir.
Vous pensiez que ces discours étaient objectifs ? Ces recherches appliquent en effet « la méthode scientifique, basée sur la distinction de l’observateur par rapport à la chose observée. » Mais, interroge François Gonon, « où va notre société si elle pousse ce paradigme jusqu’à explorer le cerveau ? ». Observer notre propre intérieur, c’est oublier qu’il y a un point aveugle, qu’il n’y a pas de savoir absolu qui peut concerner l’être parlant.
Ainsi, citons avec notre invité Milan Kundera : « la philosophie et les sciences ont oublié l’être de l’homme »[3] . Dans la folie du chiffrage de la science moderne, se perd que l’homme est un être parlant, qui ne sait pas ce qu’il dit, pas plus que ce qu’il fait. Chercher à élucider sur des imageries ou des questionnaires cette part obscure revient à la forclore, promettant son retour plus féroce.
[1] Neurosciences et santé mentale: l’envers du décor, Soirée webinaire organisée par les Psychologues freudiens le 30 septembre 2025. Conversation interdisciplinaire avec François Gonon et Éric Zuliani.
[2] Propos recueillis lors du webinaire du 30 septembre 2025, sans relecture de l’auteur.
[3] Kundera M., L’Art du roman, Paris, Gallimard, 2020, p. 15.

![À propos de l'amendement 159 : M'enfin![1] De quoi parlons-nous?](https://static.wixstatic.com/media/6127ac_0a6551a7c929410691c4d8f210c8c572~mv2.jpg/v1/fill/w_980,h_651,al_c,q_85,usm_0.66_1.00_0.01,enc_avif,quality_auto/6127ac_0a6551a7c929410691c4d8f210c8c572~mv2.jpg)

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