
Dans un précédent texte je m’étais intéressée à la naissance du syntagme « gestion des émotions » très en vogue en psychiatrie. Cette fois-ci je me propose, à rebours du retour en force de l’hypnose, d’investiguer les raisons qui ont poussé Sigmund Freud à laisser tomber cette méthode d’abréaction des affects. Un détour par l’Histoire s’impose donc à partir du livre Sigmund Freud présenté par lui-même[1].
Printemps 1885 : Freud poursuit à Paris sa formation sur les maladies nerveuses auprès de Charcot. Il y découvre la méthode hypnotique. Une phrase de Charcot « s’est gravée en moi de manière inoubliable. »[2] Il s’agit d’un dire de Charcot face aux objections et perplexité de son auditoire : « La théorie, c'est bon, mais ça n’empêche pas d'exister. »[3] Elle lui sert de boussole éthique en tant que chercheur pour ne pas reculer devant ce qu’il découvre dans ses recherches.
De retour à Vienne, Freud ne reçoit plus dans son cabinet les maladies nerveuses organiques mais uniquement la « foule des nerveux »[4]. Il pratique l’hypnose considérée alors par les professeurs de psychiatrie comme une charlatanerie dangereuse[5]. Il attribue les rechutes de certains de ses patients « à ce que (leur) hypnose n’avait jamais atteint le degré du somnambulisme avec amnésie. »[6] C’est un autre usage de l’hypnose qui va conduire Freud à entamer son ignorance sur ce qui est à l’œuvre dans ces rechutes.
En effet, parallèlement à la monotone suggestion hypnotique, Freud mû par son désir de savoir va se servir de l’hypnose pour explorer chez des patients l’histoire de la genèse de leurs symptômes et leur sens. Le Dr Josef Breuer lui ouvre la voie. Freud découvre que les motions affectives à l’œuvre derrière les phénomènes de la névrose sont de manière régulière de nature sexuelle. Même s’il n’est pas préparé à de tels résultats, ça n’empêche pas ceux-ci d’exister. Breuer, lui, recule devant cette hypothèse étiologique, effaré qu’il est des sentiments amoureux que sa première patiente traitée par catharsis a développé envers lui.
Freud renonce à l’hypnose pour les raisons suivantes. La première est la limitation de l’usage de cette méthode aux états hystériformes. La deuxième est que même les plus beaux résultats se trouvent comme brusquement effacés dès que la relation personnelle au patient se gâte. Freud en déduisit que la relation personnelle était plus importante que la catharsis et voulut isoler ce facteur. Enfin, il a lui aussi vécu l’embarras quand une jeune fille s’est jetée à son cou à l’issue d’une séance d’hypnose. Il se souvient alors de ce que disait le Dr Bernheim, rencontré à l’école de Nancy, à ses patients après leurs séances de somnambulisme : qu’ils savaient et quand il les sommait de se souvenir, les souvenirs oubliés revenaient effectivement. Freud décida de même. Il ne retient de l’hypnose que la position allongée.
Dans le procédé d’investigation qu’est la psychanalyse, le but « n’est plus l’abréaction de l’affect fourvoyé sur de fausses routes, mais la mise au jour des refoulements et leur remplacement par des actes de jugement qui peuvent aboutir à l’acceptation ou au rejet de ce qui a été jadis repoussé. »[7] Concernant l’influence suggestive nommée transfert, « elle n’est pas au service de la suppression des symptômes, mais au service de la levée du refoulement et de la production d’un travail psychique par le malade. »[8] La subjectivation prend le pas sur les affects.
Ce que Freud nous transmet, à nous, psychologues freudiens, c’est de ne pas reculer devant des phénomènes qui se présentent à nous même s’ils contreviennent à la doctrine ou à nos préjugés, ne les empêche pas d’exister, ni de continuer de recevoir en institution des sujets incasables dont personne ne sait que faire. Comme Freud, ne cédons pas sur notre désir de savoir, au service de la production d’un savoir, d’un savoir-faire ou d’un savoir-y-faire.
[1] Freud S., Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris, Collection « Connaissance de l’Inconscient », Gallimard, 1984.
[2] Ibid., p. 23.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 29.
[5] Ibid.
[6] Ibid., p. 30-31.
[7] Ibid., p. 51.
[8] Ibid., p. 72.
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