Objection, votre – pardon ! notre honneur
- Nathalie Georges Lambrichs
- 24 sept.
- 3 min de lecture

Je viens de me désabonner d’un site auquel, que je sache, je ne m’étais jamais abonnée, après avoir écouté un auteur présenter son livre où il expose comment détecter le mensonge. Mieux que le sérum de vérité, apprenez à observer les corps. Son corps trahit le menteur : attitude, gestes, mouvements, il suffit d’apprendre à observer.
L’ouvrage est introduit dans les parcours de formation dispensés aux policiers de la République, afin de les initier aux bonnes pratiques de l’interrogatoire des suspects présumés innocents.
Nathalie Sarraute est entrée en littérature avec Tropismes en 1932 – l’année où paraissent les Nouvelles conférences de Freud. Puis ce fut L’Ère du soupçon (1947). Sarraute et Freud ? Des parallèles, entre lesquelles aller et venir pour nous entendre ou nous surprendre. Pour elle, « l’univers des discours est régi par une rigoureuse étiquette. Il y a ce qui se dit et ce qui ne se dit pas », c’est parce que « les mots, même les plus convenables, sont mis en œuvre par une volonté de puissance ». La rhétorique lui est une ressource pour le faire sentir. Ainsi, « la métaphore hyperbolique » :
— Revêtu de tes plus beaux atours, ta tenue de parade… Vas-y… Air solennel, imbu de ton importance, tu accordes aux plus méritants des récompenses, tu épingles des décorations… “C’est un secret”…
— Tu descends vers les élus… une apparition céleste enveloppée de nuées… “C’est un secret”…». [1]
« Le locuteur qui utilise l’expression “c’est un secret” se sent pousser des ailes : il se croit investi par ces mots de la dignité d’un militaire de haut rang ou d’une apparition sacrée. Pour rendre compte de ce phénomène, le texte isole l’expression “c’est un secret” par des guillemets. Il en fait le support d’un commentaire. À mi-chemin de l’analyse didactique et du boniment, cette glose fait briller le cliché de mille feux : “plus beaux atours”, “tenue de parade”, “apparition céleste enveloppée de nuées”. Les épithètes s’accumulent. Mais de ce coup de force linguistique, que reste-t-il à la fin du chapitre ? Rien. À l’arme du “c’est un secret”, l’adversaire oppose une botte imparable : “c’est un secret de polichinelle”. La construction de mots s’écroule. »[2]
« L’arme », « l’adversaire » nous parlent politique. C’est un duel, ou une guerre. Qui dit vrai ? Qui dit faux ? La rhétorique règne, avec son envers de cynisme.
Lacan dissout cette impasse dans la structure tournante des discours. S’y distinguent clairement et distinctement des places et des contenus. Qui parle ? Et d’où ? Quels possibles, quel impossible se déduisent de chaque quart de tour [3]? La construction de mots peut bien s’écrouler, ce qui importe, c’est la structure qui, elle, ouvre aux objecteurs que sont les analysants un autre espace de lecture.
Me suis-je désabonnée par dégoût ? Ce n’est pas un critère, mais un symptôme et même, une signature ! Par lâcheté ou par courage ? Le fait est que j’ai hésité : et si tu étais… surveillée, me dit mon surmoi malin, si on te suspectait, si on venait t’arrêter chez toi pour mise en cause des bonnes méthodes de la bonne police du bon gouvernement ? Alors on m’interrogerait, le moindre de mes gestes serait interprété… Eh oui, on n’en finit pas de faire connaissance avec son surmoi, lequel, de fait, n’ignore rien de ce qui s’est vu hier et se reverra demain, tant que dure la chance imméritée du bel aujourd’hui que nous tentons de mettre à profit en bonne logique de subversion.
Rien plus que le rire ne raffermit le courage.
Quant aux discours qui tentent d’asservir les corps, nous en reparlerons le 30 de ce mois… avec le professeur François Gonon !
[1] Chaudier S., Sarraute, L’hyperbole et le soupçon, OpenEdition Books, PUL (Presses Universitaires de Lyon, 2003). La citation est tirée de Ouvrez, Paris, Gallimard, 1997, p. 20, texte non repris dans l’édition de la Pléiade. Toutes les citations sont extraites de cet ouvrage.
[2] Sarraute N., Ouvrez, op. cit., p. 18.
[3] Cf. notamment Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.



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