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Promesses de l’impossible versus rhétorique de la promesse

Dernière mise à jour : 12 juil.


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Quand Freud écrit L’analyse finie et l’analyse infinie [1] en 1937, il situe la question de la durée des thérapies analytiques en rapport à la dimension du temps et de la précipitation de la vie américaine qui mise sur l’efficacité. Des psychanalystes ont tenté de raccourcir les thérapies par différents moyens. Freud qui avait pratiqué l’hypnose qu’il abandonna, ne fut pas en reste et, dans quelques cas précis en fixant en cours de cure la date de terminaison de celle-ci, pensant déranger les dernières résistances de l’analysant, le plus souvent en pure perte. La mise en tension du temps et de l’efficacité pour les thérapies par la parole ne date donc pas de notre époque, mais le discours des neurosciences vient la pulvériser en en aplatissant les coordonnées en abscisses et en ordonnées. 

François Gonon[2] a regardé lui aussi du côté de l’Amérique, en pensant que la fonction sociale du discours des neurosciences de donner un argumentaire autoritaire à des politiques néolibérales de santé mentale et d’éducation, était intrinsèque à la société américaine. Il n’en est rien, le soft power américain a essaimé mondialement, se jouant des frontières et des spécificités de chaque pays. Le court-circuit de la parole, du temps, de l’histoire, des générations qui nous ont précédé, est à son acmé avec l’essentialisation par les neurosciences de nos comportements, pensées, affects. 

Gérer les affaires de santé dite mentale pour le bien de tous et le profit de quelques-uns ne peut se faire qu’en s’appuyant sur la rhétorique de la promesse [3] mise en exergue par F. Gonon : si on n’a pas trouvé la cause de telle maladie psychique, c’est qu’il n’y a pas eu assez de moyens financiers, de recherches, mais on trouvera et on aura le traitement idoine ; en attendant on détricote les services intra et extra-hospitaliers laissant les Un-dividus toujours plus seuls. C’est que, gouverner ne relève plus tant d’un acte en surplomb que des multiples passages à l’acte facilités par la collusion entre le « tout est possible » des neurosciences et le surmoi contemporain. Ce dernier s’affranchit, selon la logique de rupture de notre temps, du surmoi freudien interdicteur et pourvoyeur d’idéaux. Il en conserve cependant un trait : la dimension de la faute.

L’ouvrage d’Adriana Campos, Ce que commande le surmoi [4], nous éclaire davantage sur sa spécificité : il commande de jouir sans tenir compte des limites. Il peut se décliner en des versions plus ou moins softs : Mange 5 fruits et légumes par jour ! Sois heureux ! Consomme ! Profite ! Devoir jouir implique une jouissance qui serait la bonne alors même que cette dernière est déviée de son cours « naturel » (cf. les animaux) par l’immixtion du langage dans l’organisme de chaque sujet. Chaque Un a un rapport singulier à la nourriture, au corps, au bonheur ou à la bonne heure, etc. L’impératif de jouissance se passe du désir dont le corollaire est le manque.


Si l’impossible est la limite rencontrée par le réel qui fonde notre désir impur nous y sommes tenus dans nos pratiques de la parole – que ce soit dans le champ sanitaire, médico-social, psychiatrique, etc –, que le libéralisme gouverne. « A renoncer à l’idéal, c’est la disponibilité de la rencontre[5] » qui s’esquisse, car du nouveau a chance de surgir à partir de ce point de butée. Ne sont-ce pas là les promesses de l’impossible ?


[1] Freud S., L’analyse finie et l’analyse infinie, Erès, 2022.

[2] Cf. Gonon F., Neurosciences : un discours néolibéral. Psychiatrie, éducation, inégalités, Nîmes, Champ Social éditions, 2024.

[3] Cf. Ibid.

[4] Cf. Campos A., Ce que commande le surmoi. Impératifs et sacrifices au XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Clinique psychanalytique et psychopathologie », 2nd sem. 2022.

[5] Ménard A., Les promesses de l’impossible, Nîmes, Champ social éditions, 2020, p. 146.





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