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Psychologues de l’Éducation nationale dans la tempête (1)



Florence David 1
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En 2017, le corps unique des Psychologues de l’Éducation nationale (Psy-En) est créé ; il regroupe les psychologues scolaires qui travaillent dans un RASED[1] dans le premier degré et les Conseillers d’Orientation-Psychologues qui travaillent dans des Centres d’Information et d’Orientation et dans les établissements publics du second degré. Le corps des Psy-En est divisé en deux spécialités : Éducation Développement et Apprentissage pour les Psy-En du premier degré et Éducation Développement et Orientation pour les Psy-En du second degré.

Psychologue de l’Éducation nationale dans le second degré, j’assiste depuis quelques années à la montée en puissance d’une école qui n’arrive plus à penser aux élèves sans une évaluation dite « diagnostique ». Il y a, d’un côté, les évaluations nationales en CP, CE1, sixième et seconde, complétées par des enquêtes internationales[2]PISA, TIMSS, PIRLS, Ev@lang[3] et ICILS qui sont réalisées dans le but de mesurer et de comparer les acquis des élèves et les pratiques pédagogiques des enseignants ; de l’autre, l’explosion des bilans individuels de type psychométriques, orthophoniques et psychomoteurs accompagnés de préconisations (PPRE, PAP, PAI, PPS)[4].

De fait, se pose la question de notre responsabilité en tant que Psy-En sur la façon d’accueillir et d’accompagner ce qui fait symptôme à l’école. C’est comme si nous ne pouvions plus envisager de rencontrer un élève sans notre mallette de tests à portée de main, comme si la rencontre avec un sujet ne pouvait se faire que par l’entremise d’une évaluation métrique et de préconisations. La fonction et le champ du langage et de la parole s’évaporent : cela peut paraître un comble, mais écouter un sujet parler de ce qui lui arrive fait peur à certains psychologues. Il y a une tendance à vouloir maîtriser, orienter l’entretien dans un sens univoque. C’est vrai, c’est un travail difficile d’écouter, d’autant plus en milieu scolaire où le sujet est très souvent parlé par l’autre avant de parler. S’orienter par la pratique de la parole demande du temps : le temps que les choses puissent se dire, se déplier, et ainsi mettre au travail la part qu’un sujet peut assumer dans ce qui lui arrive et dans l’usage qu’il fait de son symptôme.

Or, le psychologue de l’Éducation nationale n’a plus le temps. Il doit bilanter, pris malgré lui dans les nouveaux discours issus de la logique neuro-développementale. Plus de dialectique possible, le pouvoir de la parole s’évanouit au profit d’une pratique d’évaluation et des protocoles de rééducation. Le psychologue est prié de se loger ainsi sous la figure de l’expert.


Des psychologues experts en ?

Si on pousse cette logique à son terme, plusieurs questions se posent : doit-on être expert en situation de handicap pour donner un avis à la Maison Départementale des Personnes en situation de Handicap, ou plutôt être expert en troubles de l’apprentissage pour proposer un Projet d’Accompagnement Personnalisé, ou encore être expert des élèves intellectuellement précoces pour un Projet Personnalisé de Réussite Éducative, ou enfin être expert en guidage parental pour bien accueillir un parent en entretien ? Est-ce qu’un entretien en milieu scolaire peut se faire sans cette question d’être un « spécialiste en » ? Si le parent, l’élève, le professeur a bien l’idée que nous avons un savoir de notre côté, il y a souvent un réel malentendu autour de ce savoir qui nous est supposé. Comment un psychologue de l’Éducation nationale peut-il accueillir un sujet en entretien alors qu’il ne maîtrise pas tout ? Disons tout de suite ce que tout le monde sait : il y a un impossible à tout dire, à tout connaître. Mais surtout, d’un point de vue éthique, n’est-il pas préférable d’accueillir la demande dans sa singularité plutôt que de prétendre y apporter rapidement une solution prêt-à-porter ?


Comment lire le symptôme scolaire ?

Que ce soit dans le premier ou dans le second degré, le psychologue de l’Éducation nationale est interpelé le plus souvent parce qu’une rencontre ne se fait pas ou peine à se faire entre un élève et le savoir, le collectif, ou, plus globalement, dans un mouvement vers l’avenir.

En établissement scolaire, nous entendons régulièrement cette expression : « il ne se met pas en posture d’élève », il ne fait pas son « métier d’élève », il n’a pas mis « ses habits d’élève ». Il y a cette idée que dans le lieu scolaire, l’enfant doit endosser « une fonction » d’élève. Il doit ainsi se départir, passé le portail de l’établissement, de son identité de fils ou fille de, pris dans des enjeux familiaux, sociaux, etc. Or, cette séparation est indispensable pour passer de la condition de l’enfant à l’état d’apprenant, de la place de l’enfant à celle de l’élève. Il y a quelque chose du côté d’une perte ou d’une prise momentanée d’identité qui se joue, et qui est pourtant nécessaire sans être évidente ni pour les uns ni pour les autres. Cela ne va pas de soi.

De fait ce qui coince, ce qui rate va prendre différentes formes.

(à suivre)


[1] RASED : Réseau d’Aides spécialisées aux Élèves en Difficulté [2] « Évaluation des élèves français à l’échelle internationale », Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, disponible sur internet. [3] « Ev@lang. Test de positionnement », Eduscol. Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, disponible sur internet. [4] PPRE : Parcours Personnalisé de Réussite Éducative, PAP : Plan d’Accompagnement Personnalisé, PAI : Projet d’Accompagnement Individualisé, PPS : Plan Personnalisé de Scolarisation

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