Aude Lemarchand
Je travaille dans une association qui réalise des Mesures Judiciaires d’Investigations Éducatives à la demande de Juges des Enfants. Cette prestation comporte un volet « évaluation psychologique » qui n’est pas une expertise judiciaire. Le mandat est d’une durée limitée, au cours de laquelle, les intervenants (un travailleur social et un psychologue) rencontrent les « usagers », c’est-à-dire les détenteurs de l’autorité parentale, les enfants concernés par le signalement, et toute personne pouvant apporter un éclairage sur la situation familiale. Cette démarche donne lieu à un rapport transmis au Juge des Enfants, qui statuera lors d’une audience sur des dispositions à prendre ou non.
L’organisation choisie par l’association pour la mise en œuvre de ces mesures restreint les possibilités d’intervention, amenant les psychologues à choisir les personnes à rencontrer, et à limiter ces rencontres. La plupart du temps, il n’est possible de voir les enfants et les détenteurs de l’autorité parentale qu’une seule fois.
Au cours de cet unique entretien dit « psychologique », le psychologue peut se trouver face aux sentiments et parfois ressentiments des parents, notamment lorsqu’ils perçoivent la procédure comme une accusation d’être de mauvais parents, ainsi qu'à la crainte des enfants de s’exprimer sur leurs liens avec leurs parents, avec le spectre d’une peur du placement, c’est-à-dire de la séparation.
Alors qu’une telle mesure basée sur la prise en compte d’un discours, parfois anonyme, nommé signalement, semble induire une place prépondérante à la parole des uns et des autres, la contrainte temporelle et organisationnelle, liée entre autres à un paramètre économique, réduit au minimum le temps d’écoute par le psychologue.
L’obligation de diligence, de réponse à une commande, alors même que souvent la parole peut être contrainte par l’idée de correspondre à l’attente d’un Autre judiciaire menaçant l’équilibre familial, ne permet pas de s'adapter à la temporalité des sujets. Il y a une injonction de justification pour les parents et les enfants, auprès des services sociaux. La mesure s’étale sur quelques mois, mais un seul rendez-vous est prévu avec le psychologue, et lorsque celui-ci n’est pas honoré, il peut parfois ne pas avoir lieu.
Le psychologue se trouve face à un paradoxe : l’attente d’un juge d’une évaluation aussi complète que possible comme appui pour une prise de décision, et une place minimale à l’exercice de cette évaluation.
Le peu de rencontres ne favorise pas le questionnement du parent quant à l’événement qu’il rencontre, mais laisse le psychologue sans réelle piste d'interprétation, avec surtout des hypothèses. L’élaboration utile au décalage d’une situation de crise peine à émerger, tant le sujet peut se trouver aux prises avec la menace d’un Autre tout puissant, l’idée que le psychologue sait tout de lui et de son fonctionnement.
La souffrance est telle, pour certains parents, de se sentir accusés qu’ils expriment un regret à l’issue de la rencontre, de ne pas avoir pu dire assez, renforçant leur sentiment de ne pas être écouté. Je propose parfois un second entretien, mais les contraintes liées à la charge de travail et à l’organisation ne le permettent qu’à la marge.
L’analyse des situations en équipe pluridisciplinaire peut atténuer quelque peu la place minime laissée à la parole. Toutefois, au sein de cette organisation, une place plus importante devrait être accordée au psychologue, qui serait moins annexe au travail d’évaluation. L’augmentation du nombre de rencontres et la possibilité de solliciter des reports d’échéance des mesures, sont des pistes qui devraient davantage être mises en pratique, malgré une organisation bridée par une temporalité imposée et une nécessité de rentabilité.
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