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L’éthique, le surmoi et la canaille (Partie 1)

Dernière mise à jour : 31 août


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L’article que vous lirez ci-dessous n'est pas sans écho avec celui de Sébastien Ponnou, publié sous forme de brochure en juillet, sur le même sujet. Nous saluons la convergence de vue de nos collègues et s’il se trouve entre l’un et l’autre des « redites », il ne nous a pas semblé que nous devions nous priver de cette heureuse concordance de vues, qui introduit un chapitre délicat de notre présent difficile à déchiffrer.

La rédaction




Au début de son livre intitulé Neurosciences un discours néolibéral [1], François Gonon, directeur émérite au CNRS et neurobiologiste pendant 35 ans, honore la science en rappelant « qu’elle n’est pas une opinion, mais un discours argumenté tentant de décrire les choses et les êtres au plus près de ce que l’on considère comme vrai » . Discours dont le but premier est l’ouverture « à un débat contradictoire entre les chercheurs et la société[2] » , l’éthique scientifique vise ici à protéger la fiabilité de la connaissance.


Quelques pages plus loin, F. Gonon affirme le double langage de la psychiatrie biologique : les experts entre eux reconnaissent que leurs recherches n’ont pas bénéficié aux patients au niveau du diagnostic comme des traitements ; néanmoins, face au reste de la médecine, aux médias et au grand public, ces mêmes experts ont des affirmations triomphantes, principalement dans les publications scientifiques dans des revues renommées, à propos, notamment, de l’interprétation de leurs résultats. F. Gonon, tout en rappelant les règles de base applicables aux publications scientifiques, observe et recense les différents biais qui alimentent ce double discours : non confirmation de découvertes, problème de reproductibilité, mésusage des citations, exagération de l’intérêt des résultats[3] . Il examine aussi les distorsions, imputables aux médias, ainsi que les conséquences négatives de ce double discours sur les pratiques de soins en psychiatrie[4]. De ces biais, qu’on pourrait qualifier eux aussi de triomphants dans cette science néolibérale, découle une « rhétorique de la promesse[5] » : les résultats sont à portée de main, encore un peu d’investissements et le monde sera sauvé !


J’ai retenu un exemple que donne F. Gonon, avec la Fondation FondaMental (FF), qu’il reprend dans un article paru le 28 mai dernier[6]. Cette Fondation a été créé en 2007 avec pour ambition de « rendre la psychiatrie de précision accessible au plus grand nombre ». Elle est soutenue par la subvention publique, mais également par des compagnies pharmaceutiques et d’autres grandes entreprises. Dotée d’une large équipe de communicants, elle fait aussi régulièrement appel à une agence de communication et se félicite de ses succès : selon son rapport annuel d’activité, « en 2021, la Fondation a pris 28 fois la parole dans les médias et a comptabilisé plus de 500 « retombées presse » dans des médias de qualité : France Culture, France Inter, Europe1, TF1, LCI, ...[7] ». C’est un lobbying écrasant contre lequel F. Gonon invite à « une réforme de la loi française sur la transparence des activités de lobbying »[8] .


L’intimidation

En 2024 la FF a créé 54 Centres Experts pour fournir une évaluation clinique standardisée et approfondie de 4 troubles de l’adulte : autisme, dépression grave résistante au traitement, schizophrénie et troubles bipolaires. Mais il s’agit de patients stabilisés : ni urgence, ni patient hospitalisé ne sont acceptés. Les patients sont évalués par des experts, ils reçoivent ensuite leur évaluation détaillée avec des recommandations : traitement, interventions psychologiques – thérapie cognitivo-comportementale (TCC) en première intention – et sociale. Ce rapport fait l’objet d’une transmission au médecin qui suivait le patient avant l’expertise et qui va pouvoir continuer à le suivre, enrichi de ces nombreuses recommandations.

Cela renvoie à ce que F. Gonon évoque dans son livre : « une hiérarchisation des valeurs entre les différentes sciences expérimentales (…) . Pour expliquer les conduites humaines, dont l’organe-clé est évidemment le cerveau, les neurosciences seraient donc supérieures à la psychologie, la pédagogie ou la sociologie.[9] » Le prestige scientifique de spécialistes auto-proclamés experts d’une pathologie écrase les médecins et psychiatres en première ligne, qui sont pourtant « experts de chaque patient dans de multiples pathologies » . Le risque de « miner la confiance[10] » des patients vis-à-vis de leur médecin se fait jour.


Soubassement

En 2018 et sur la base d’une étude publiée en 2017, deux dirigeants de la FF demandent une réforme de la psychiatrie française avec pour argument principal, l’efficacité thérapeutique de ces Centres Experts scientifiquement prouvée par une baisse de 50% du nombre de jours d’hospitalisation dans l’année qui suit. L’homme politique qui découvre cela ne peut que se réjouir en pensant aux économies gouvernementales à inventer : c’est du pain béni ! Seulement, notre politicien, tout comme les journalistes qui relaient cette information, n’a ni culture, ni formation scientifiques : personne n’est allé vérifier l’étude, ni n’a remarqué la note en bas de page apparue dans un communiqué de presse en février 2024 – soit 7 ans plus tard ! –, relatant le fait que cette réduction formidable ne s’applique qu’aux troubles bipolaires. « Il est scientifiquement injustifiable de généraliser ce résultat à l’ensemble des maladies psychiatriques prises en charge par ces structures, comme le fait la fondation dans ses activités de plaidoyer.[11]» tonne F. Gonon qui invite les journalistes comme les politiciens à approfondir leur formation[12]  .


Pas de groupe témoin non plus pour effectuer la moindre comparaison, alors que toute étude scientifique le requiert. Il est possible, indique F. Gonon pour expliquer ce résultat, que les patients aient consulté après une aggravation temporaire de leur état, et qu’ensuite celui-ci soit revenu spontanément à la normale : il s’agit d’un effet bien connu des épidémiologistes sous le nom de « régression à la moyenne »[13]. Les auteurs de l’étude de 2017[14]  indiquent dans leur article qu’ils ne peuvent conclure que le passage en Centre Expert ait provoqué des changements « uniquement dus à ce modèle de soins ». Cependant cette humilité scientifique de bon aloi s’évapore ensuite dans la communication publique par les cadres de la fondation.


D’autre part, les annexes de l’étude concernant le suivi de cohorte et la disparition d’un certain nombre de patients, soit le taux de perte, « important pour juger de la solidité des résultats », ces annexes ont disparu, elles aussi, mais sans que cela soit mentionné. Parue en 2017, l’étude ne les a pas (encore ? ) intégrées[15] .


Dénis et conflits d’intérêts ? [16] 

Enfin, la Fondation assure qu’elle n’a aucun intérêt matériel à la promotion des Centres Experts, au crédit desquels elle verse une multitude d’effets positifs pour les patients, tout en assurant n’être pas responsable de l’usage qui est fait de sa communication par les parlementaires ! On se souvient que la Fondation a une équipe de communication performante qui va à la rencontre des députés comme des sénateurs, et n’hésite pas à faire appel à une agence de communication.

On apprend, de plus, que le sénateur porteur de la proposition de loi visant à généraliser les Centres Experts en psychiatrie, M. Alain Milon, a été administrateur de la fondation FondaMental entre 2011 et 2015. On apprend aussi qu’un psychiatre qui dirige un Centre d’Expertise a été nommé en mai 2018 délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie : M. Franck Bellivier, à qui s’est adressé Sébastien Ponnou consciencieusement et de manière réitérée au printemps dernier[17]. Ne se rapprocherait-on pas du conflit d’intérêts ?


Suite dans la partie 2, dans la newsletter de lundi 8 septembre 2025.


[1] Gonon F., Neurosciences un discours néolibéral, Psychiatrie, éducations, inégalités 2024, champ social, Nîmes, p. 35.

[2] Gonon F., op. cit., p. 20.

[3] op. cit., p. 34-36.

[4] op. cit., p. 36-70.

[5] Voire également l’article de Lisiane Girard, Promesses de l’impossible versus rhétorique de la promesse, paru sur ce site (https://www.psychologuesfreudiens.org/post/promesses-de-l-impossible-versus-rh%C3%A9torique-de-la-promesse) .

[6] Gonon F. et al., Le plaidoyer des institutions scientifiques à but non lucratif doit s’appuyer sur des données factuelles : une étude de cas https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/310725/le-plaidoyer-des-institutions-scientifiques-doit-sappuyer-sur-des-donnees-factuelles et article intégral en anglais https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666560325000763  Étude reprise dans un article du Monde : La communication de la Fondation Fondamentale épinglée pour embellissement de résultats scientifiques. Cet article est aussi largement cité par Ponnou S. dans son article récent paru sur ce même site, Centres Experts et Fondation Fondamental : lobbying unchained.

[7] Gonon F., Neurosciences un discours néolibéral, op. cit. , p. 169-170.

[8] Gonon F. et al., Le plaidoyer des institutions scientifiques à but non lucratif, op. cit., p. 24.

[9] Gonon F., Neurosciences un discours néolibéral, op. cit., p. 159.

[10] Gonon F. et al., op. cit.

[11] Le Monde du 03 juin 2025, art. de Foucart S., La communication de la Fondation FondaMental épinglée pour embellissement de résultats scientifiques https://www.lemonde.fr/sciences/article/2025/06/03/la-communication-de-la-fondation-fondamental-epinglee-pour-embellissement-de-resultats-scientifiques_6610297_1650684.html

[12] Gonon F. et al., Le plaidoyer des institutions scientifiques, op. cit., p. 24.

[13] Ponnou S., Centres Experts et Fondation Fondamental : lobbying unchained. Article consultable sur le site de l’Association des Psychologues freudiens, publié en juillet 2025, https://www.psychologuesfreudiens.org/post/centres-experts-et-fondation-fondamental-lobbying-unchained.

[14] Gonon F. et al., Le plaidoyer des institutions scientifiques …, op. cit., p. 17-18.

[15] Ibid.

[16] Ponnou S., op. cit.

[17] Ibid.




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